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L’IVG, un acquis fragile

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Pressions religieuses, obstacles à l’avortement… les acquis féministes sont-ils irréversibles ?

par Mona Chollet

En faisant passer le montant affecté au conseil conjugal et familial de 2,5 millions d’euros en 2008 à 1,5 million en 2009, l’Etat programme à très court terme la suppression des acteurs intervenant sur le droit à la sexualité. Par cette décision, il affiche sa volonté de se désintéresser de l’information et l’orientation pour la contraception, la fécondité, la sexualité, une mission que la loi Neuwirth a confiée aux associations.

Comme le montre Mona Chollet, ces acquis ne sont pas irréversibles. Afin de les défendre, la Ligue des droits humains incite chaque citoyen(ne) à signer la pétition du Planning familial.

Pressions religieuses, obstacles à l’avortement… les acquis féministes sont-ils irréversibles ?

par Mona Chollet

« A 18 ans, j’étais persuadée que l’égalité entre hommes et femmes était acquise, raconte Maud Gelly, jeune médecin et militante du Collectif national pour les droits des femmes (CNDF). Puis, un été, j’ai travaillé comme serveuse, et le comportement des clients comme celui du patron m’ont fait tomber de haut. Par la suite, au cours de mes études, j’ai fait un passage dans un service de gynécologie, et j’ai été révoltée par la façon dont on traitait les femmes qui venaient avorter. J’ai vu un jour un médecin jeter devant l’une d’elles une plaquette de pilules en lui disant : “Allez, montrez-moi comment on s’en sert !” »

L’engagement féministe semble souvent naître ainsi : du constat brutal d’un décalage entre le discours que la société tient sur elle-même et la réalité. Comme si, auparavant, les femmes s’étaient laissé prendre à une illusion très répandue – bien qu’elle ait perdu tout crédit dans les autres domaines : celle qui postule un « sens de l’Histoire », ou une évolution « naturelle » des sociétés, conduisant à une égalité toujours plus grande entre les sexes. « Quand il ne se produit pas de régression des droits des femmes, on s’imagine qu’il ne se passe rien, remarque Christine Delphy, du Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Alors que cela signifie seulement que le rapport de forces entre le camp réactionnaire et le camp progressiste s’équilibre. L’Histoire, la pauvre, elle n’a pas un sens ! »

Occultation des luttes

Cette chercheuse met en cause la façon dont on commémore les victoires remportées par les femmes occidentales dans les années 1960 et 1970 – en France, la loi Neuwirth autorisant la contraception (1967) et la loi Veil autorisant l’avortement (1975). « On ne montre, souligne-t-elle, que les images du discours de Simone Veil à l’Assemblée nationale, un peu comme, pour célébrer le soixante-dixième anniversaire des congés payés, on montre les familles ouvrières partant en vacances au Touquet, en occultant les luttes très dures qui avaient permis d’arracher ces droits. » Quand la philosophe Elisabeth Badinter s’émerveille [2] de ce que la loi ait été votée par des députés de sexe masculin, elle oublie que, si des hommes ont bien joué un rôle dans cette victoire, ce sont plutôt les militants du Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (MLAC) qui, pendant un an et demi, avaient pratiqué des avortements au grand jour [3]. Mis au pied du mur, le pouvoir n’avait fait que s’incliner, et sans grand enthousiasme : Mme Veil, ministre de la santé à l’époque, qui dut essuyer les attaques les plus odieuses, s’en souvient.

Sur le plan législatif, la France semble à l’abri d’un recul semblable à celui qu’a connu la Pologne, où l’avortement, autorisé dès 1956, a été à nouveau interdit en 1993, après la chute du régime communiste, sous l’effet d’un regain d’influence de l’Eglise catholique. La victoire remportée par les partisans portugais du droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) lors du référendum du 11 février dernier donne également des raisons d’être optimiste. Mais le climat général, marqué par un retour du religieux [5], n’en préoccupe pas moins les féministes. « La thèse du choc des civilisations redonne partout du crédit aux traditionalistes, qu’ils soient chrétiens ou musulmans », constate Mme Séverine Auffret, responsable du séminaire « Histoire des idées féministes » à l’Université populaire de Caen.

« Etant donné la composition actuelle du Parlement européen [6], avoue Mme Colette De Troy, du Lobby européen des femmes (LEF), et l’activisme déployé par certaines associations catholiques, notre but, pour le moment, n’est pas tant d’obtenir de nouvelles avancées que d’éviter que ces questions fassent l’objet d’un vote, afin de préserver au moins les acquis. » L’avocate Gisèle Halimi, présidente de Choisir la cause des femmes, a milité pour le « non » à la Constitution européenne parce que celle-ci ne faisait pas figurer l’égalité entre les sexes parmi les « valeurs » de l’Union. Le droit à l’avortement en était également absent : « Puisque l’Europe a fait sien cet immense progrès de civilisation qu’est l’abolition de la peine de mort, elle doit aussi garantir aux femmes ce droit qui est le socle de leurs libertés. »

Le droit formel ne suffit cependant pas à dissiper le climat de culpabilité qui entoure l’IVG : culpabilité, non plus d’avoir eu des relations sexuelles, comme avant la loi, mais de ne pas avoir utilisé une contraception efficace [7]. Certes, la France pourrait faire moins que ses deux cent mille avortements par an. L’accès aux contraceptifs, mal remboursés et pas toujours adaptés, laisse à désirer [8]. Bien sûr, la prévention des maladies sexuellement transmissibles a rendu courant l’usage du préservatif : selon le récent rapport sur le « contexte de la sexualité en France », 89 % des jeunes de 18-24 ans y ont recours lors de leur premier rapport sexuel. Néanmoins, l’éducation sexuelle reste sommaire. De nombreuses femmes, surtout jeunes, sont sous-informées, et ne trouvent pas toujours appui auprès de leur famille, des médecins ou des pharmaciens.

Les inégalités sociales jouent à plein : « Chez les jeunes filles scolarisées dans l’enseignement général, 1,8 % des 15-18 ans ont déjà eu recours à l’IVG, contre 9 % de celles qui sont scolarisées dans l’enseignement professionnel [9]. » Mais, de toute façon, rappelle Mme Maïté Albagly, secrétaire générale du Mouvement français pour le planning familial (MFPF), « il subsistera toujours un nombre incompressible d’IVG : les femmes ne sont pas des machines, et on ne peut pas leur demander de maîtriser parfaitement leur fertilité sur trente-cinq ans ! ».

La situation témoigne bien à la fois de la permanence d’une certaine vision des femmes et de l’état actuel de leurs droits : la société les laisse en faire usage si elles le souhaitent, mais à contrecœur – voire en leur savonnant la planche. Lorsque l’avortement est intégré à un service de gynécologie obstétrique, soit sous forme d’«unité fonctionnelle », soit comme une simple « activité », il est le premier à pâtir du manque d’effectifs quand le personnel soignant est en vacances ou appelé par une urgence. Les centres IVG sont animés par des médecins souvent issus du MLAC, qui ont fait leurs études juste avant la légalisation et sont en train de partir à la retraite, et l’absence de relève se fait cruellement sentir. D’ores et déjà, même si l’on constate de fortes disparités selon les régions, les délais d’attente pour un premier rendez-vous peuvent aller jusqu’à trois semaines. « D’une liberté reconnue, acceptée, proclamée, on est passé à une sorte de tolérance », regrette Gisèle Halimi.

Paradoxe : si les femmes souhaitant interrompre leur grossesse ont suscité bien des vocations militantes chez les médecins avant 1975, à l’époque où ils les voyaient arriver à l’hôpital dans un état critique, aujourd’hui qu’elles n’en meurent plus, elles peinent à retenir leur attention. Les praticiens considèrent l’IVG, dont le tarif n’a été revalorisé que deux fois, en 1991 et en 2004, comme une « corvée », et la jugent inintéressante sur le plan médical. « Comme si déboucher des sinus, c’était passionnant ! », ironise l’un d’entre eux, qui fait exception à la règle [10].

Le nœud du problème semble, en effet, se situer ailleurs. « Les médecins ont l’habitude de poser un diagnostic et de prescrire un traitement, explique Maud Gelly, qui a enquêté à ce sujet auprès d’étudiants en médecine [11]. Or, les femmes qui veulent avorter, non seulement ne sont pas malades, mais décident elles-mêmes ce dont elles ont besoin. Elles leur demandent de se mettre à leur service, ce qu’ils ont du mal à accepter. Ils ne contestent pas ce droit, mais voudraient en délimiter eux-mêmes les contours. »

Une mentalité qu’épingle également le médecin et écrivain Martin Winckler : «Récemment, dans un enseignement de médecine générale auquel je participe, mes confrères voulaient consacrer une session aux “demandes abusives” des patients. Or, on peut dire qu’il y a des demandes auxquelles un médecin n’est pas habilité à répondre ; mais qui sommes-nous pour les juger “abusives” ? »

Rares sont les discours comme celui de Mme Sophie Gaudu, gynécologue à l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul, à Paris : « Si une femme veut accoucher, je suis là. Si elle veut avorter, je suis là aussi. C’est d’abord à la femme que je pense lorsque j’interviens en tant que médecin [12]. » Les professionnels de santé trouvent plus «gratifiant », en général, de pratiquer des procréations médicalement assistées (PMA) que des IVG : « Ce n’est plus gratifiant que pour ceux qui préfèrent soigner des maladies plutôt que des malades ! », lance la journaliste Olivia Benhamou.

Auteure en 2003 du documentaire Histoire d’un secret, consacré à sa mère, la peintre Clotilde Vautier, morte en 1968 à Rennes des suites d’un avortement clandestin, la réalisatrice Mariana Otero craint de voir revenir l’idée que l’avortement serait un crime : « Dans l’esprit de beaucoup de gens, c’est cela qui rendrait l’avortement difficile. En fait, les femmes souffrent à cause du contexte, de ce que cette expérience révèle de l’état de leur couple et du désir ou non-désir d’enfant de chacun. »

Mais elles souffrent aussi à cause de la pression idéologique qu’elles subissent, et du mauvais accueil qu’on leur réserve. Maud Gelly souligne que, s’il existe bien une dépression post-partum, qui touche certaines accouchées et comporte des caractéristiques médicales bien définies, « on n’a jamais identifié d’entité clinique “dépression post-avortement”. (…) On surestime systématiquement les conséquences physiques et psychiques de l’IVG. »

Peut-être l’avortement bat-il en brèche l’image persistante de la femme qui « donne la vie » : « On ne mentionne jamais ses avortements, bien qu’une femme sur deux y ait recours dans sa vie, constate Mme Maya Surduts, du CNDF et de la Coordination des associations pour le droit à l’avortement et à la contraception (Cadac). C’est tabou. Même dans le milieu féministe ! » Le danger est réel. « Ce silence a pour conséquence que l’on ne produit pas de pensée autour de l’avortement, pointe Mariana Otero. Avec le risque, un jour, de ne plus avoir d’arguments pour contrer ceux qui s’opposent à ce droit. » […]

Mona Chollet
Pétition du Planning Familial

Aux côtés du Planning Familial, défendons le droit à l’information, à l’éducation, à la sexualité, pour toutes et pour tous

En diminuant de 42 % dans la Loi de Finances 2009 le montant affecté au conseil conjugal et familial, l’Etat programme à très court terme la suppression totale des actions d’information, d’éducation et de prévention dans les domaines de la sexualité et de la vie de couple et affective. Par cette décision, l’Etat montre sa volonté d’abandonner les missions qui sont les siennes quant à l’accueil, l’information et la prévention concernant la contraception, la fécondité, la sexualité. Il se désengage, par là, de la préparation des jeunes à la sexualité, à leur vie de couple et à la fonction parentale. Il marque son désintérêt pour les pratiques d’accueil et de conseil, qu’elles soient mises en oeuvre lors d’activités collectives ou d’entretiens individuels.

Ces missions d’utilité publique sont donc très clairement menacées par la baisse des financements, déjà largement insuffisants, alors que la Loi Neuwirth a clairement affirmé le rôle essentiel joué par les associations aux côtés de l’Etat.

Pourtant, dans une société où les relations filles-garçons sont de plus en plus marquées par la violence, où les campagnes nationales de prévention et d’information ont besoin des relais de terrain pour être efficaces, ces missions définies par la loi, plus que jamais, sont primordiales !

450.000 personnes bénéficient chaque année des actions du Planning Familial dans ses 70 associations départementales de Métropole et des DOM. La conséquence de cette brutale démission de l’Etat est la fermeture programmée d’un grand nombre de ces lieux d’accueil individuels et collectifs.

L’Etat doit assurer sa responsabilité nationale pour l’information, l’éducation à la sexualité, et la prévention pour toutes et tous conformément à l’article 1 de la Loi 73-639 du 11 juillet 73.

L’Etat ne doit pas supprimer les lieux d’écoute et de parole, mais les développer.

L’Etat ne doit pas supprimer les interventions collectives, mais les développer.

L’Etat doit donner aux associations qui assurent ces missions, les moyens aujourd’hui nécessaires, pour le développement de leurs activités et de leurs interventions.

Tous ces acquis sont récents, ces droits sont fragiles,
Nous avons lutté pour les obtenir,
luttons ensemble pour les défendre !

Notes.

[2] Dans le film de David Teboul Et Elle créa la femme, France 5, 2006.

[3] Lire Liberté, sexualités, féminisme. Cinquante ans de combat du Planning pour les droits des femmes, La Découverte, Paris, 2006.

[5] Lire Josette Trat, « Entre néolibéralisme et ordre moral, les féministes divisées », dans Josette Trat, Diane Lamoureux, Roland Pfefferkorn (sous la dir. de), L’Autonomie des femmes en question, L’Harmattan, Paris, 2006.

[6] Les élections européennes de 2004 ont été marquées par une progression de la droite eurosceptique et conservatrice.

[7] En France, deux tiers des grossesses non désirées surviennent chez des femmes qui utilisent un moyen de contraception.

[8] Voir, le site de Martin Winckler

[9] Rapport de Mme Hélène Mignon sur la proposition de loi relative à la contraception d’urgence, Assemblée nationale, 26 septembre 2000.

[10] Olivia Benhamou, Avorter aujourd’hui. Trente ans après la loi Veil, Mille et une nuits, Paris, 2004.

[11] Maud Gelly, Avortement et contraception dans les études médicales : une formation inadaptée, L’Harmattan, Paris, 2006.

[12] Olivia Benhamou, Avorter aujourd’hui, op. cit.