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Où en est Aung san suu kyi ?

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près l’euphorie de la libération en 2010 et son élection en 2012, Aung San Suu Khi essaie de répondre à l’attente de la population tout en louvoyant avec le gouvernement en place. Tout est fragile. Les élections de 2012 ne portaient sur 40 sièges à pourvoir dans une chambre comptant 435 sièges. Même si les sièges ont été remportés par Aung San suu khi et son parti la ligue pour la Démocratie, elle n’a pas de pouvoir réel puisque très minoritaire au parlement. Les prochaines élections générales sont prévues cette année 2015, mais la constitution lui interdit de se présenter aux présidentielles du fait d’être mariée à un étranger. La modification de la constitution a été refusée.

Elle aura soixante dix ans en juin de cette année 2015. Aung San Suu Kyi se déplace dans le pays, écoute, mais sans pouvoir agir de façon très concrète face aux détresses qui lui sont exposées, notamment des expulsions de pauvres chassés de leurs terres au profit de proches du pouvoir.

En 2012, les birmans étaient pleins d’espoir, ci-dessous une interview de Manon Loizeau qui a pu faire un documentaire à cette époque sur Aung San Suu Kyi pour France 2 télévision.

Voila ce qu’elle dit de la situation en Birmanie de 2012 lors d’une interview du Figaro.

Quel peut être le rythme des réformes ?
Tout ne peut pas changer du jour au lendemain dans un pays où il n’existait aucune liberté. Mais tout le monde semble reconnaître que les changements sont inéluctables. L’ancienne junte qui dispose d’immenses avantages économiques ne les lâchera pas tout de suite mais nous avons trouvé auprès d’Aung San Suu Kyi et de ses députés, qu’il n’y avait aucun sentiment de vengeance. Cela est-il lié au bouddhisme ? Une chose est sûre, la problématique n’est pas celle que l’on retrouve dans certains pays en pleine révolution où l’on cherche parfois à faire payer ceux qui ont commis des crimes. Aujourd’hui, la question principale est celle de la reconstruction. Aussi, tout le monde reste prudent car on ne sait pas toujours où se situe la ligne rouge. Nous avons découvert à nos dépens qu’il était très difficile, par exemple, d’aborder le thème de la confiscation des terres car beaucoup d’argent est en jeu. Chaque liberté gagnée chaque jour doit être consolidée.

Comment avez-vous trouvé la jeunesse de ce pays ?
Il n’y a pas si longtemps, en septembre 2007 durant la révolution de safran, une jeunesse entière a vraiment rêvé de liberté comme on l’a vu plus tard dans les révoltes arabes, mais la répression a été terrible et des milliers de jeunes ont été emprisonnés. En juillet dernier, certains étudiants ont même été arrêtés alors qu’ils souhaitaient célébrer l’anniversaire de la répression et des journaux ont été fermés. Donc beaucoup de jeunes sont encore très prudents même s’ils essayent de profiter des nouveaux espaces de paroles apparents.

Pourquoi l’icône Aung San Suu Kyi n’a-t-elle pas été, tout simplement, supprimée par l’ancien régime ?
Ils l’ont tout de même isolée durant quinze ans et même essayer de la tuer mais cela n’a pas marché. Son convoi était tombé dans un guet-apens alors qu’elle partait à la rencontre des Birmans. Elle s’en est sortie miraculeusement. Mais cela est devenu un scandale planétaire et elle doit sans doute sa vie au fait qu’elle avait soudain pris trop de poids à l’international. Devenue une véritable icône mondiale, il était compliqué pour le régime de la supprimer.

Quel est son programme politique?
Elle veut réformer la constitution pour que celle-ci en soit moins militaire, avancer vers un état de droit, restituer les terres des paysans, engager de grandes réformes pour l’éducation et respecter les minorités ethniques. Mais comme elle nous le disait, il y a tout à faire car le pays exsangue est dans une situation économique catastrophique. D’ailleurs, si les militaires lui laissent jouer aujourd’hui un rôle politique c’est parce qu’ils n’avaient plus le choix. Tout est à reconstruire selon des pratiques démocratiques.

Est-elle apte à mettre en route de telles réformes ?
C’est la grande question. On sent qu’elle a un vrai sens politique et le charisme d’un leader. On sent qu’elle est au-delà de la figure politique. Il y a quelque chose de l’ordre du sacré. Les gens, qui s’identifient totalement à elle, pensent qu’elle pourra les sauver de tout. Ont-ils trop d’espoir? Elle nous répond que son intention est d’expliquer qu’il ne sera pas possible de tout changer tout de suite. En ce sens, elle ne veut rien promettre et travaille surtout à l’échelle humaine, en proposant des micro-solutions. L’un de ses paris est de faire en sorte que tous les gens de pouvoir la rejoignent peu à peu dans cette volonté de changement. Ses partisans savent très bien qu’à quarante députés, il sera impossible d’assumer toutes les réformes. La présidentielle de 2015 est un objectif affiché.

Sera-t-elle élue ?
C’est ce que l’on ressent sur place. Reste les questions sur sa santé physique. Elle a connu des moments de fatigue durant cette campagne législative et l’on peut imaginer que quelqu’un qui a vécu quinze ans d’isolement puisse être fragilisé. L’autre risque tient aussi dans le fait que son parti aujourd’hui repose sur elle. C’est la raison pour laquelle elle insiste sur l’importance de la nouvelle génération et sur la formation de nouveaux politiciens. Aung San Suu Kyi compte par exemple sur de nouvelles personnalités telles que l’étudiant-rappeur qui est aujourd’hui son bras droit pour prendre la relève. Tous ceux qui ont démarré avec elle atteignent aujourd’hui le cap des soixante dix ans. L’avenir du pays ne repose plus sur eux.

Dès l’automne 2012, la minorité ethnique Kachin a exprimé sa méfiance envers la dirigeante, en raison de sa passivité quand l’armée birmane a refusé la négociation et envoyé la troupe et l’artillerie contre les indépendantistes kachin.
Les critiques les plus violentes ont commencé à surgir partir de juin 2012. À cette époque se déclenchent des émeutes qui font des centaines de morts en Birmanie et des dizaines de milliers de réfugiés, principalement dans la minorité ethnique musulmane Rohingya. Plusieurs membres influents de l’ethnie majoritaire, y compris des religieux bouddhistes, tinrent des discours haineux à l’encontre de cette minorité et des musulmans en général. Aung San Suu Kyi refusa longtemps de réagir, afin de ne pas «attiser le feu d’un côté ou de l’autre». Ce silence lui valut des critiques à l’intérieur de son pays.

En avril 2013, Human Rights Watch publia un rapport accusant les autorités birmanes d’avoir amplifié les troubles et organisé, à partir d’octobre 2012, une « campagne de nettoyage ethnique » contre les musulmans. Dans un entretien postérieur à cette annonce, Aung San Suu Kyi « refuse de condamner les violences contre les musulmans et nie fermement qu’un nettoyage ethnique ait eu lieu ». Cette attitude tout au long des violences lui vaut de nombreuses critiques dans la presse internationale.

A l’épreuve de la realpolitik, Aung San Suu Kyi risque d’écorner son image. Son parti serait gangrené de l’intérieur par de nouveaux membres qui le noyauteraient au profit du gouvernement. « Tout le monde essaie d’exploiter ses déclarations, commente Susanna Hla Hla Soe, directrice d’une association de femmes karen, une ethnie du Sud-Est. Mais quel pouvoir a-t-elle ? En réalité, elle n’a aucune marge de manoeuvre. » Cruelle posture: qu’elle parle ou qu’elle garde le silence, Aung San Suu Kyi suscite le dépit. La question des Rohingyas est révélatrice de son dilemme. Depuis 1994, une loi interdit à cette ethnie d’élever plus de deux enfants. Cette mesure discriminatoire a fait l’objet de vifs débats, dans un contexte de fortes tensions religieuses. En 2012, plus de 200 Rohingyas ont été tués dans des affrontements avec des Arakanais, en majorité bouddhistes. A la fin de mai, Aung San Suu Kyi s’est finalement prononcée contre cette loi, en dénonçant cette « violation flagrante des droits humains « . Mais elle n’ira pas plus loin. Car elle sait que le moindre de ses propos « promusulmans » est aussitôt repris par ses détracteurs. Parmi ceux-ci, un moine, Wira Thu, certainement le plus dangereux des nationalistes birmans.

Frédéric Debomay, directeur de l’ouvrage collectif : Birmanie, la peur est une habitude », expose ici ses interrogations vis à vis de Aung San Suu Khi.

Voir Ici un article sur le silence de Aung San Suu Khi concernant le massacre des Rohingyas

Un autre article de l’express, lors de la visite de Aung San Suu Khi en France en 2013

Un reportage d’ARTE sur la Birmanie en 2015 ci-dessous