En Thaïlande une femme est ordonnée nonne – une première depuis 800 ans !
Après l’ordination on 2001, au Sri Lanka, de Chatsumarn Kabilsingh, célèbre universitaire féministe thaïlandaise
Par Eric Rommeluère – Actualités des religions décembre 2001
Chee Varanghana Vanavichayen, 56 ans, ancienne secrétaire et traductrice, mère de deux enfants, a été faite novice (samaneri) au monastère de Wat Songdhamkalayanee, dans la banlieue nord de Bangkok. Dhammarakita Samaneri »celle qui est protégée par le dharma, (la loi bouddhique) » tel sera désormais son nom.
La cérémonie a été conduite selon le rite theravada par la bhikkhuni (moniale) sri-lankaise Saddha Sushymana, en présence de huit autres moniales du Sri-Lanka, de Taiwan et d’indonésie. Deux moines tibétains et six thaïlandais participaient également à cette cérémonie historique.
Le clergé thaïlandais, formé des écoles Dhammayut Nikaya et Maha Nikaya de la tradition Theravada, estime irrémédiable l’extinction de la lignée des moniales au sein de sa tradition. Car, selon la règle canonique, une novice ou une moniale ne peut recevoir l’ordination qu’en ptésence d’autres moniales qui l’ont reçue dans les mêmes conditions, créant ainsi un lien ininterrompu avec la première communauté du Bouddha.
On touche ici à trois sujets tabous pour le clergé bouddhiste thaïlandais : le caractère sacrosaint de la transmission directe, l’impossibilité d’avoir recours aux services de membres d’une autre tradition qui aurait conservé cette transmission et, enfin, plus ou moins avoué, l’ostracisme dont sont victimes les femmes.
L’interdiction de l’ordination féminine est de fait inscrite dans les lois thaïlandaises régissant le culte. Sur fond d’émancipation féminine, un mouvement de rénovation de cette ordination est récemment apparu dans le Sud-Est asiatique, essentiellement au Sri-Lanka. Des aspirantes de la tradition Theravada se sont alors adressées aux moniales chinoises qui ont préservé cette transmission ininterrompue depuis les origines. Dix moniales furent ainsi ordonnées à Sarnath, en Inde, en 1996, puis vingt autres en 1998 à Bodhgaya.
Aujourd’hui, elles sont environ une cinquantaine à avoir reçu cette ordination qui n’est pas reconnue par les sangha (communauté) nationaux des pays de tradition Théravada.
Dhammarakita Samaneri devra effectuer deux années de noviciat avant de recevoir l’ordination complète, « Je sais qu’il y aura des oppositions, dit-elle, mais je sais que j’ai fait le bon choix. » L’événement a provoqué une double réaction de la part des autorités.
Le directeur du département des Affaires religieuses au ministère de l’Education a affirmé que Dhammarakita Samaneri ne sera pas reconnue comme membre du clergé, tout en indiquant qu’aucune action judiciàire ne serait entreprise à son encontre.
Dans le même temps, le ministre de l’Education a chargé le département des Affaires religieuses d’une mission de consultation sur l’ordination féminine, sur ses possibilités et son éventuelle influence sur la vie religieuse thaïlandaise.
Il a précisé que d’éventuelles nouvelles novices seraient tolérées tant qu’elles ne se réclameront pas du système monastique thaïlandais et qu’elles ne prétendront pas habiter un wat (un monastère) : «Les Thaïlandais qui auront foi en elles pourront se joindre à leurs activités. Mais elles ne seront pas reconnues par le Sangha national.»
En revanche, un groupe de sénateurs s’est prononcé pour la légalisation des ordinations féminines, arguant de l’égalité constitutionnelle entre hommes et femmes. A terme, selon leurs propres mots,. un conflit religieux surgira, et les moniales reléguées dans une zone de non-droit créeront leur propre école.