Dans la Chine des années 30, un vieil homme, Wang (Xu Zhu), donne des représentations théâtrales itinérantes tout le long du Sichuan. Son art: changer de visage en un éclair par l’utilisation de masques de soie. Le problème de Wang est qu’il ne possède plus de fils, ayant perdu le sien, âgé de 10 ans, vingt et un ans plus tôt. Il se rend alors au « marché des enfants », terrible lieu où des enfants sont cédés par des parents sans logis victimes des terribles inondations. Wang refuse les supplications de petites filles mais se laisse attendrir par un jeune garçon de 8 ans qu’il « achète » pour 5 pièces de cuivre. Mais, contre toute attente, Gouwa se révèle… une fille ! Si Gouwa a prétendu être un garçon c’est, explique-t-elle en larmes, parce qu’elle a déjà été vendue sept fois et que l’homme qui l’a cédée la battait… La fille ne vaut rien, Le garçon, lui, est roi.
Ce film superbe du grand réalisateur Wu Tian-ming, traite (entre autres) de ce sujet avec maestria. Le DVD est disponible.
Ci-dessous la critique de China Cinema
Dans la Chine des années 30, un vieux maître de théâtre va de ville en ville afin de jouer des spectacles, dont celui de changer de masques à une vitesse fulgurante. Proche de la fin de sa vie, celui-ci cherche un héritier à son art…
Auréolé de plus de 30 récompenses de par le monde (dont celui de meilleur film en 1997 au Festival de Venise), Le Roi des Masques marque le retour triomphant de Wu Tianming, cinéaste de l’éphémère 4eme génération, pionner cinématographique de l’après révolution culturelle et découvreur de talents dont ceux de Zhang Yimou et Chen Kaige.
Financé par des apports chinois de Hong Kong et des Etats-Unis où Wu Tianming fut enseignant en cinéma, Le Roi des Masques dévoile la vie d’un vieux maître de l’opéra de Sichuan. Celui-ci arrive dans un petit village pour jouer sa pièce dont il est l’un des seuls à pouvoir l’exécuter. En effet, le vieux maître dispose d’un talent rare ayant presque disparu de la culture chinoise de l’époque : celui de changer de masque à une vitesse iréelle. La maîtrise de cet art ancien de l’opéra de Sichuan fait le bonheur de la population venue le voir dans le village où il joue entre comédie et théâtre. Chaque masque selon ses couleurs donne à son porteur une personnalité différente. Le blanc par exemple laisse deviner que l’acteur sera un mauvais personnage tel un traître ou un ennemi, le rouge donne le rôle d’un homme courageux, loyal et amical.
Ainsi la population chinoise pouvait deviner avec la couleur du masque les sentiments du personnage et son rôle dans la pièce. Malheureusement les temps sont durs pour les artistes itinérants et le vieux maître arrive tout juste à vivre de ses recettes.
Lors de la fête des Lampes, le plus connu des acteurs de la région, jouant la concubine dans l’opéra traditionnel, remarque les talents du vieux maître.
Il lui propose de rejoindre sa troupe, de faire des bénéfices plus conséquents et de ne pas laisser mourir son talent car ce roi des masques s’approche jour après jour de ses derniers instants de vie.
Cependant, le vieil homme se rechigne à cette idée, car son éthique lui refuse de partager son art des masques à quiconque. Il comprend alors que la recherche d’un successeur est indispensable à la survie de son art.
Le vieil homme cherche alors dans un tripot un jeune et futur héritier. Il y trouve en effet des enfants à vendre, laissés là par des gens pauvres.
Dans la tradition des artistes de l’opéra chinois, seul un homme peut apprendre les secrets de cet art, le roi des masques cherche donc un petit garçon. Par chance, il trouve parmi de nombreuses filles un garçon qui attendait d’être vendu (on peut reconnaître qu’un enfant est à vendre si celui porte sur la tête un morceau de paille).
Le vieux maître est très heureux d’avoir trouvé ce garçon nommé Gouwa, et chacun se raconte son parcours de vie où l’on apprend que le roi des masques est seul depuis très longtemps et où Gouwa était un enfant battu.
Un jour Gouwa tombe gravement malade et le vieil homme doit vendre quelques unes de ces antiques possessions pour lui payer ses médicaments. Il découvre alors que Gouwa est une fille et souhaite l’abandonner ; mais n’y arrive pas. Elle ne peut donc devenir héritière de son art et est contrainte à rester une simple esclave du ménage de leur barque d’habitation. Mais l’avenir de Gouwa ne va pas s’arrêter ici…
N’ayons pas peur des mots : le Roi des Masques est un chef d’œuvre. Il est rare d’employer ce terme, mais cela est à juste titre pour cette œuvre cinématographique pleine de sentiments et d’ancrages culturels sur le monde de l’opéra chinois. En effet, ces derniers sont intimement abordés et Wu Tianming permet de distinguer plusieurs opéras selon leurs activités et leurs localités. Ici il s’agit de l’opéra de Sichuan différent de son grand frère l’opéra de Pékin ou de celui de Shaanxi. Ainsi l’opéra de Sichuan se démarque par ses instruments de musiques différents, son maquillage lui aussi bien distinct et certains arts dont celui des masques, spécialité de l’opéra de Sichuan.
L’art des masques est dans ce film d’une beauté insaisissable où chaque changement de masque transporte le spectateur vers des traditions culturelles séculaires. La rapidité d’exécution est véritablement impressionnante et tel qu’on ne découvre pas le secret de cette fulgurance.
Justement ce secret est un lourd fardeau pour l’artiste et limite le développement de cet art, mais en même temps lui permet d’être le gardien d’une tradition chinoise apprécié de tous.
A cet effet, on se demande comment l’acteur principal, le vénérable Zhu Xu, déjà acteur du film Shower, a préparé son rôle afin d’incarner le roi des masques. Connaissait il l’art des masques ? Avait-il appris cela d’un maître ? Ou est-ce seulement le montage du film qui nous donne cette impression ?
Apparemment la deuxième hypothèse demeure la plus pertinente mais rien n’est moins sûr. Dans tous les cas, la performance est à la hauteur du film : exceptionnelle.
Le cinéaste de la quatrième génération aborde aussi les différents sujets de l’opéra chinois où le bouddhisme tient une grande place. Ici, on va voir comment une incarnation féminine du bouddha, une boddhisattva, sauve son père qui avait été condamné car considéré coupable de mauvaises intentions. Le film montre que lorsqu’elle est un symbole, une femme a de la valeur et quand elle est simplement humaine et réelle, elle n’en a pas. Cette clé de compréhension est essentielle pour mieux cerner l’opéra chinois et y découvrir toute sa finesse, sa profondeur, sa magnificence.
Le roi des Masques est bien entendu important pour ce partage culturel mais il l’est encore plus pour ses valeurs sociales car il est bien question d’un immobilisme d’une tradition ancrée dans des préjugés. Wu Tianming montrera avec âpreté la difficile vie de la jeune Gouwa qui réussira cependant, à force de volonté et de mansuétude maladroite, à se faire aimer du vieux maître. Cette relation père fille est d’une puissance évidente sans pour autant tomber dans le caricaturale portrait de nombreux films chinois souvent trop pessimiste.
Comme ce plan superbe où Gouwa est sur le dos du maître tenant un parapluie jaune, Wu Tianming a su saisir les traditions chinoises dans une quintessence cinématographique pour faire du Roi des Masques l’une des plus belles œuvres chinoises des années 90.
Source : China cinema