par le Prof. ém. Dr Marcel Hebbelinck,
Vrije Universiteit Brussel, Laboratoire de Biométrie Humaine, Bruxelles.
Conférence lors du 7° Congrès Végétarien Européen à Widnau, Suisse (18-23/07/99)
Des résultats remarquables ont été enregistrés par des végétariens et des « presque végétariens » ayant fourni des efforts importants au niveau physique et mental.
Parcourir 150 à 300 km à pied sans arrêt est manifestement une performance athlétique de tout premier plan. Courir sur de telles longues distances par des sentiers montagneux en poussant la traditionnelle ràràhia, une balle en bois, est très impressionnant. C’est pourtant ce que les Indiens Tarahumara, de l’Etat du Chihuaha au nord du Mexique ont fait, en tant qu’activité régulière de leur vie, depuis des centaines d’années. Leur ration journalière consiste en céréales (maïs), haricots et courges, plantes sauvages et quelques poissons d’eau douce. La quantité totale de calories est estimée entre 1.200 et 1.500 par jour. Le lait, la viande et les œufs sont des produits rares et ne sont consommés que de façon occasionnelle, lors de cérémonies spéciales. Le fait que les Tarahumara puissent courir sur de très longues distances avec un régime à faible teneur en calories et bien en dessous des normes classiques pour ce qui concerne les protéines, hydrates de carbone, graisses (macronutriments), vitamines et minéraux (micronutriments), constitue un défi à notre façon de penser.
Des performances athlétiques similaires, quoique moins connues mais tout aussi étonnantes, sont relatées à propos des Indiens Aymara, de la région du lac Titicaca, des coolies chinois et des sherpas des montagnes, qui vivent d’un régime frugal, presque complètement végétarien.
Une course d’endurance de mille (1.000) kilomètres à travers l’Allemagne, de la mer Baltique jusqu’aux Alpes, qui sera relatée au cours de ce congrès par le professeur Jung, confirme également le fait que cette très longue distance convient parfaitement aux capacités d’athlètes s’alimentant de repas entièrement végétariens comportant une grande quantité de fruits frais et de légumes crus.
Voici quelques exemples intéressants de végétariens ayant accompli des performances athlétiques, la première ayant été relatée lors du Congrès mondial végétarien d’Ulm en 1982 :
La famille d’artistes Widmayer : A l’âge de 14 ans, Fogrund Widmayer est championne du Würtenberg en sports rythmiques, et Waltrud Widmayer (dont le nom d’artiste est Thora von der Teck) est devenue, à 14 ans également, championne d’Allemagne dans la discipline au trapèze. Les deux filles Widmayer sont des végétariennes de la troisième génération.
Une autre performance athlétique remarquable a été accomplie par le végétarien français Bernard Gaschard qui, en 1998, à l’âge de 66 ans, a participé à une course sur longue distance très éprouvante, appelée le « Grand Raid de la Réunion », et qui s’est classé premier de son groupe d’âge. Par terrain difficile et une chaleur tropicale, il a couru sans arrêt les 132 km de l’épreuve en 35 heures 58 minutes et 50 secondes. Il est végétarien depuis 40 ans, ne consomme pas de sucre raffiné et ne boit ni café ni alcool.
En 1998, une analyse de l’alimentation de six végétaliens crudivores participant à des courses cyclistes sur de longues distances a été effectuée. Chaque jour des 1.450 km du parcours, les six participants dont l’âge s’étalait entre 21 et 78 ans ont rempli une fiche où ils ont noté les aliments et les boissons consommés. Ils ont parcouru environ 77 km par jour avec une moyenne de 16 km par heure. L’analyse de leurs aliments a montré une prise énergétique quotidienne de 1.348 calories. Ce chiffre très bas est en contradiction avec la dépense énergétique estimée à 4.712 calories par jour. Cette différence n’a pas pu être complètement expliquée par la perte moyenne de poids de 4 kilos, qui a même été pour certains de ces participants inférieure à 2 kilos. Cependant, la proportion recommandée en énergie de 60% d’hydrates de carbone, 30% de graisses et 10% de protéines a été respectée. Les participants en question arrivèrent à Stockholm en bonne forme.
En 1982, un cancer du sein avait été diagnostiqué chez Ruth Heidrich, alors âgée de 47 ans. Après avoir subi une mastectomie à 48 ans, elle est devenue végétalienne et a entamé un entraînement physique vigoureux, participant au triathlon d’Hawaii ‘Iron Man/Lady’ qu’elle a remporté à six reprises dans sa tranche d’âge. En 1997, à 63 ans, Ruth Heidrich n’est pas seulement une ‘femme de fer’ végan qui a gagné environ 600 trophées, médailles et récompenses (avec notamment 60 courses en 1997), mais elle est aussi une conférencière éminente et l’auteur de deux ouvrages. Dans son livre A race for life : from cancer to the Ironman, elle raconte non seulement son histoire mais encore prouve qu’en combinant une alimentation saine, des exercices physiques vigoureux et une grande volonté, on peut vaincre la maladie.
Récemment, en 1998, la Suissesse de 31 ans, Natascha Badman, a gagné le 22ème triathlon de Hawaii. « Nager 3,8 km, pédaler à vélo 180 km et ensuite courir 42 km sous un soleil de plomb (40 degrés centigrades) en 9 heures, 24 minutes et 36 secondes est certainement le type même du sport de haut niveau ». Natascha, cette ‘vegi’ femme d’une grande force est végétarienne/végan depuis dix ans.
Qu’en est-il des sports de force ? La plupart des textes traitant de nutrition dans la pratique de ces sports contestent l’opportunité d’une alimentation végétarienne ou végétalienne pour des épreuves de type intensif. C’est cependant une réalité que de nombreux athlètes végétariens engagés dans des sports de « force » et de « muscle » sont des champions de « top niveau » :
Ridgely Abele (USA) : 8 fois champion de karaté des Etats-Unis
Peter Hussing (Allemagne) : champion amateur européen de boxe en 1979, catégorie des super-lourds
Andreas Cahling (Suède/USA) : Monsieur « Body Building » (culturisme) international en 1980
Ingra Manecke (Allemagne) : champion d’Allemagne du lancement du disque de 1977 à 1982
Edwin Moses (USA) : médaillé d’or olympique et détenteur du record mondial sur 400 m haies
Pat Reeves (Grande-Bretagne) : végétalienne, championne féminine d’haltérophilie de Grande-Bretagne et Open, de 1990 à 1998.
On peut aussi mentionner la patineuse artistique française Surya Bonaly, six fois championne européenne, les championnes de tennis américaines Billy Jean King, Chris Evert-Lloyd et Martina Navratilova, toutes des athlètes d’élite ayant brillé dans des sports exigeant à la fois vitesse de déplacement et puissance.
Du point de vue scientifique, une question qui suscite la curiosité est la prise de créatine en tant que complément ergogénique (c. à d. un produit stimulant la performance) cette substance étant nécessaire aux activités contractiles des muscles. La biodisponibilité de la créatine est considérée comme un facteur limitatif pour la poursuite d’exercices d’intensité maximale. D’une part, la créatine est supplée en continu par la biosynthèse endogène à partir de deux acides aminés du foie, du pancréas et des reins (arginine et lysine). D’autre part, l’alimentation peut être considérée comme une source exogène chez les omnivores, étant donné que la viande contient des quantités relativement importantes de créatine.
Dans la littérature scientifique, une étude fait état que les végétariens ont des concentrations sériques de créatine plus faibles (Delanghe, 1989), et puisque les végétariens n’ont pas d’apport extérieur en créatine, ils sont considérés comme ne pouvant accomplir que des performances modestes dans des épreuves intensives. Toutefois, comme il est mentionné dans l’étude de biopsie de Harris et al. (1992), les deux sujets végétariens ayant fait l’objet d’une évaluation lors de leurs expériences avaient des niveaux normaux de créatine.
A la lumière de ces données contradictoires, nous avons décidé (Clarys et al., 1997) de mener une expérience en double insu sur l’effet d’un apport oral de créatine lors d’une épreuve intensive chez deux populations, végétarienne d’une part et non végétarienne d’autre part. Le résultat final de cette étude expérimentale a été que l’apport supplémentaire n’avait entraîné aucune amélioration ni chez les végétariens ni chez les non végétariens. D’où la constatation que rien n’indique une carence substantielle de créatine chez les végétariens qui ne peuvent s’en remettre qu’à la biosynthèse endogène. Il est par conséquent injustifié d’affirmer qu’une alimentation végétarienne ne convient pas pour des athlètes engagés dans des disciplines exigeant beaucoup de force, de puissance et/ou une grande vitesse.
Tournons nous maintenant vers un autre mythe: celui des besoins en protéines des athlètes végétariens. L’accent mis sur l’importance des protéines nécessaires aux performances sportives a une longue histoire, qui remonte aux athlètes de la Grèce ancienne qui étaient de solides mangeurs de viande. Au 19ème siècle, la croyance traditionnelle que « la viande rend fort » a été renforcée par le chimio-physiologiste très connu, von Liebig, qui prétendait que l’énergie musculaire était produite par oxydation des protéines. En dépit du fait que, dans les années 1860, les scientifiques savaient que les principaux » carburants » destinés au travail musculaire étaient des hydrates de carbone et dans une certaine mesure les acides gras, le mythe « protéine = force » a été maintenu et même renforcé au cours de la majeure partie de ce 20ème siècle. Aujourd’hui toutefois il est reconnu que les protéines ne fournissent qu’entre 5 et 15% de l’énergie utilisée au cours d’une épreuve d’endurance.
Chez les athlètes engagés dans des sports de force, l’accroissement du besoin en protéines alimentaires est basé de façon théorique sur l’augmentation de l’oxydation des acides aminés (ce qui se passe lorsque les muscles sont en action). D’un autre côté, le besoin supplémentaire pour la formation de masse musculaire effective est faible, parce que les muscles sont composés aux trois quarts d’eau. Un calcul rapide démontre que pour augmenter par exemple de 120 grammes par semaine la masse musculaire (dont 30 grammes seulement sont des protéines) 4,3 grammes de protéines additionnelles par jour sont nécessaires, en supposant 100% d’efficacité d’utilisation des protéines.
Il est bien accepté que les végétariens peuvent aisément satisfaire les relativement faibles besoins supplémentaires en protéines lors de compétitions d’endurance, bien que ceci puisse être légèrement plus difficile pour les athlètes végétariens dans les disciplines de force, de vitesse et de puissance, comme le sprint, l’haltérophilie, etc. Pour ces athlètes-là, un ajustement diététique est recommandé (allant jusqu’à 1,5 à 1,8 gramme par kilo de poids corporel), ce qui peut être obtenu sans difficulté en incluant davantage d’aliments riches en protéines, comme les légumineuses et des aliments à base de soja. Il est important de noter que les protéines végétales, du fait de leur contenu plus faible en acides aminés souffrés, causeront probablement moins d’excrétion de calcium urinaire par comparaison avec les protéines animales. A cet égard, il est recommandé du point de vue de la santé, et ceci pas seulement pour les athlètes végétariens mais aussi pour les non végétariens, de faire face aux besoins accrus en protéines en consommant davantage d’aliments riches en protéines d’origine végétale.
En conclusion, on peut dire que, sur la base des données factuelles et empiriques, les athlètes végétariens sont capables de performances de haut niveau dans toutes les disciplines sportives, pour autant qu’ils et elles suivent un régime globalement équilibré conforme aux exigences de chaque épreuve et de leurs conditions d’entraînement respectives.
Source : Vegetarismus