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Wangari Maathai, la voix des forêts

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C’est en plantant un tulipier d’Afrique, arbre indigène, dans sa ville natale de Nyeri, au pied du mont Kenya, que Wangari Maathai a célébré son prix Nobel de la paix. Elle a retiré ses bijoux et s’est mise à genoux, dans son style habituel, sans protocole, les bras dans le sol. «J’ai d’abord cru à une plaisanterie», a déclaré l’activiste écologique devenue ministre de l’Environnement il y a près de deux ans. «Je dois reconnaître que le comité Nobel est le meilleur des gardiens de secrets. Je ne sais même pas qui a pu suggérer ma nomination.»

Wangari Maathai est la première femme africaine à remporter le Nobel de la paix. Le comité a souligné «sa contribution en faveur du développement durable, de la démocratie et de la paix». Sur le terrain, cela se traduit par près de trente ans de lutte contre les politiques et affairistes au Kenya, qui ont accaparé, avec d’énormes profits, des milliers d’hectares de forêts en principe protégées, pour y construire des résidences luxueuses, des hôtels de prestige pour les touristes, ou transformer les terrains en zone agricoles.

En 1998, Wangari Maathai surgit sur la scène internationale en protestant contre un projet du président kenyan de l’époque, Daniel Arap Moi, de se faire construire une résidence en rasant plusieurs centaines d’hectares de forêt. Elle est interpellée puis libérée après une campagne de protestation. L’année suivante, elle est attaquée et blessée alors qu’elle plante des arbres dans une forêt de Nairobi, pour protester, une fois de plus, contre la déforestation. Pendant vingt ans, jusqu’à la chute du gouvernement Moi en décembre 2002, elle multiplie les actions en justice contre la déforestation organisée par les apparatchiks. «L’environnement est un des aspects importants de la paix, parce que lorsque l’on détruit nos ressources, que ces ressources diminuent, on va se battre pour le peu qui reste, affirme-t-elle. Je travaille pour être sûre que l’environnement est protégé, mais aussi en faveur de la bonne gouvernance.»

Elle tente aussi d’éduquer les exportateurs de bois rares et les Kenyans de la brousse, armés de leurs simples machettes qui vont chaque jour couper du bois pour le chauffage et la cuisine. Wangari Maathai fait campagne pendant des années pour expliquer les dégâts irréparables provoqués par la destruction forestière. Avec des conséquences parfois dramatiques pour la population. Dans sa région d’origine, sur les pentes du mont Kenya, la déforestation cause régulièrement des glissements de terrains meurtriers à la saison des pluies. Avec son Mouvement de la ceinture verte, elle revendique la création de milliers d’emplois, plaçant des femmes à des postes à responsabilités, et la plantation, au travers d’associations jumelées, de 30 millions d’arbres en Afrique.

Passée de son rôle d’activiste turbulente à celui de députée, puis de ministre, Wangari Maathai est devenue plus discrète depuis son entrée au gouvernement en 2003. Mais elle a marqué les esprits. La presse s’est fait son relais. La question foncière souvent traitée sous des angles tribalistes, trouve une résonance écologique dans les quotidiens locaux qui titrent régulièrement sur des scandales de forêts rasées ou d’allocations illégales de terrains à de riches propriétaires.

Avant d’être reçue par le président kenyan Mwai Kibaki vendredi soir, Wangari Maathai a laissé entendre qu’on pourrait la revoir sur le terrain, sans son tablier de ministre, si les déforestations continuent. «Je préfère renoncer à mes responsabilités que de voir nos forêts détruites» dit-elle. Elle pourra profiter des 10 millions de couronnes suédoises (1,1 million d’euros) du Nobel pour poursuivre son action. «Je n’ai jamais eu autant d’argent dans ma vie ! Une partie ira certainement dans des programmes environnementaux. Il faut que je fasse un budget et que je décide comment le dépenser… Comme font les riches !»

A Nairobi, les femmes au coeur du combat pour l’environnement

La toute nouvelle lauréate du prix Nobel de la paix sera sans conteste la star de la conférence qui s’ouvre lundi à Nairobi, sous l’égide des Nations unies, dont le Programme pour l’environnement (PNUE) est basé dans la capitale kenyane. «Femmes, voix de l’environnement» (Wave) rassemblera une centaine de femmes de tous pays qui tenteront d’établir un manifeste et de lancer des projets pour renforcer le rôle des femmes dans les instances en charge de l’environnement.

Tout comme le Réseau des femmes ministres de l’Environnement qui se réunira dans le même temps à Nairobi, le Wave veut faire prendre conscience aux populations et à leurs responsables que l’inégalité des femmes contribue à les rendre, plus encore que les hommes, victimes de la dégradation de l’environnement et de la pauvreté.

Source Liberation octobre 2004