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Etre femme en Inde par Alexandra David Neel

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J’ai trouvé dans le livre d’Alexandra David-neel, l’Inde où j’ai vécu, un passage très intéressant sur la vision que les Indiens ont des femmes, ce qui donne un éclairage sur l’attitude du Bouddha. Ecoutons Alexandra David Neel : « Religion et philosophie, ascétisme et mysticisme sont en Orient, et particulièrement en Inde, l’affaire des hommes et des élites. Pourquoi les femmes ne sont-elles, en général, pas admises à faire profession de sannyâsa ? La raison m’en a été exprimée passablement crûment : « Sannyâsa m’a dit mon interlocuteur comporte la chasteté totale. Les hommes en sont capables, les femmes non. » Une opinion contestable qui fait s’exclamer les Occidentaux à qui je la communique, mais qui est très courante dans l’Inde, est en effet, que les femmes livrées à elles-mêmes ne peuvent résister à leurs désirs sensuels. Assez récemment, un jeune étudiant me le répétait encore : « Il est nécessaire de tenir les femmes enfermées » me disait-il, et la liberté dont elles commencent à jouir en Inde lui paraissait, ainsi qu’à beaucoup d’autres, une abomination qui allait entraîner l’Inde à sa perte. » (l’Inde où j’ai vécu p. 302 ed. Plon)

Voici ce qu’Alexandra écrit encore dans ce même ouvrage rédigé peu après l’indépendance de l’Inde :
« Sous la pression de l’opinion étrangère, une loi a été promulguée qui interdit les mariages d’enfants et fixe à quinze ans l’âge légal du mariage pour les filles. Précédemment, des fillettes de sept à huit ans se voyaient livrées à des hommes adultes, parfois à des vieillards ; certaines devenaient mère à neuf ans, et treize ans semble aux hindous un âge très convenable pour une première maternité. L’opinion reçue est qu’une fille doit être mariée dans la semaine qui suit la première apparition de la nubilité. La raison donnée à cette coutume est que les femmes — contrairement aux hommes — sont incapables de garder la chasteté et que, si on ne les pourvoit point d’un époux, elles s’abandonneront à la débauche.
Mes dignes interlocuteurs hindous doutaient bien entendu de la vertu de toutes les « ladies » (anglaises) qu’ils voyaient circuler librement. Il semblait que la vie ascétique que je menais m’attirait une meilleure et tout exceptionnelle réputation ; les marques particulières de déférence que je recevais pouvaient porter à le croire… mais, après tout, je ne pouvais en être certaine… //

La loi et l’extension de l’éducation moderne n’ont pas grandement modifié l’opinion que les très orthodoxes hindous se font des femmes. Il y a peu de temps, un jeune brahmine me l’exprimait encore. Il était indispensable disait-il de marier les filles très jeunes et de tenir les femmes enfermées sous peine de les voir se perdre. L’opinion choquante qu’il exprimait me porta à répliquer : « Et votre mère qu’en pensez-vous ? » Le grand respect que tout hindou doit à sa mère l’empêcha de me donner une réponse directe. « Ma mère a été mariée jeune, dit-il évasivement, et depuis son mariage, elle n’est jamais sortie de notre maison. » De cette réponse, on aurait pu déduire que cette respectable dame était demeurée vertueuse parce qu’elle n’avait aucune occasion de ne pas l’être.

Qu’ils s’en rendent compte ou non, cette idée transparait sous les descriptions que les hindous se plaisent à nous donner du respect accordé aux femmes et des égards auxquels elles ont droit. Ces déclarations s’appliquent à des femmes cloîtrées qui n’ont aucune relation, aucun sujet d’intérêt en dehors du cercle de leur famille, aucune vie propre et indépendante.«  (l’Inde où j’ai vécue ed Plon p. 356-358)

Ainsi, ces femmes brahmanes sont-elle emmurées vivantes toute leur vie pour les « protéger » de leur sexualité débridée !

L’Inde est incontestablement le pays de la spiritualité la plus extrême, c’est aussi le lieu où se retrouvent exposées crûment toutes les projections et les peurs masculines à l’égard des femmes. La symbolique du féminin occupe une place importante dans certains cultes, mais quel féminin ? Non pas la mère aimante, protectrice, la « vierge Marie, maternelle et compatissante », mais la mère tout-puissante et effrayante, Kâli, la toute puissante qui, disent ses dévots, aime les sacrifices sanglants d’animaux qu’on égorge toujours à son intention, à défaut des sacrifices humains qu’elle préfère mais qui ont été interdits sous l’empire britannique.

Kali

On retouve en Inde exposé crûment les fantasmes et les projections masculines qui ont alimenté et alimentent toujours la violence à l’égard des femmes. Des fantasmes enracinés dans les obsessions sexuelles des hommes et dans leur peur de l’impuissance qui se projette sur la supposée « insatiabilité » des femmes. La femme insatiable, ce n’est pas un fantasme indien, on le retrouve tous les jours dans notre courrier internet, dans ces « pourriels  » qui vantent les vertus du viagra, afin que l’homme soit enfin certain de pouvoir « satisfaire » sa partenaire.

Que la réalité soit infiniment loin de ces fantasmes ne change pas la donne, que la pornographie, la prostitution et tous les crimes qui vont avec soient entièrement liés à la sexualité des hommes ne change nullement leurs projections. Et en Inde, ces projections s’appuient sur la religion et la superstition. Il suffit de voir le culte rendu au lingam, (que Freud n’aurait pas renié !), la domination absolue que le mari entend exercer sur sa femme, le discrédit qui entoure une veuve, expression de la peur qu’elle puisse avoir des relations sexuelles avec un autre homme. (Alors que bien entendu, si sa femme meurt, le veuf n’est nullement affecté dans son statut social et va aussitôt se remarier…),
Et pour couronner le tout, cette terrifiante coutume de Sati, abolie par les anglais, qui poussait les femmes à s’immoler dans les flammes du bûcher funéraire de leur mari (et qui n’a pas semble-t-il totalement disparu, voir plus bas ).
Dans le passé, la pression sociale était si forte qu’il était pratiquement impossible pour une femme de s’y soustraire. Le statut de veuve était et est toujours dramatique en Inde. Les fillettes mariées parfois dès l’âge de cinq ans, pouvaient se retrouver veuves à dix ans. Gandhi a essayé de changer le statut des veuves, particulièrement des fillettes promises à un avenir de paria avant même d’avoir atteint l’âge adulte. (voir à la rubrique médias le film Water)

C’est dans ce contexte pour le moins pesant que le Bouddha a vécu et par lequel il a été conditionné ; on peut mieux comprendre ses réticences à la fondation d’un ordre de nonnes. On s’imagine que, parce qu’il était devenu le Bouddha, il était devenu infaillible et libre de toutes les influences de son époque, pourtant, les sutras décrivent à la fois une sagesse spirituelle supra humaine, mais aussi des circonstances beaucoup plus ordinaires où le Bouddha reste soumis à son époque et à son milieu.
Vu l’idée dominante en Inde de la supposée « faiblesse » des femmes vis à vis de la sexualité, on comprend pourquoi il semble avoir pensé (si c’est effectivement lui qui a dit ces paroles) que la fondation d’un ordre de nonnes pouvait « menacer le Dhamma ». Contrairement à ce qu’on entend dire parfois, il existait déjà et existe toujours chez les Jaïns un ordre de renonçantes sur le modèle monastique qu’adoptera le Bouddha, on les nomme Sadhvis (le féminin de Saddhu).

Heureusement qu’on voit un changement de mentalité dans la classe moyenne indienne, des femmes et des hommes qui se lèvent pour combattre les mentalités les plus archaïques concernant aussi bien les femmes que les intouchables, deux combats chers à Gandhi qui sont toujours loin d’être gagnés.

L’Asie, ce n’est pas seulement quelques grands êtres réalisés qui rayonnent sur le monde, c’est tout un contexte culturel, et ce contexte n’est pas favorable aux femmes. Il faut le reconnaître et le dire. Le déficit démographique des femmes qui s’y chiffre en dizaines de millions en est le symbole le plus éclatant.

L’Asie, réservoir de sagesse oui, réservoir de discrimination sexiste, oui aussi. L’Occident a certainement quelque chose à apporter au monde sur cette question qui concerne toute l’humanité. Nous avons l’immense chance d’avoir accès sans entraves à l’enseignement du Bouddha, n’oublions pas toutes nos soeurs d’Asie qui n’ont pas cette opportunité.

Quelques infos en plus ci-dessous, notamment sur les veuves. Camille

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