Olivier Adam et Sandrine Cormier se sont rendu fin février début mars 2008 à Dharamsala pour enquêter sur les conditions de vie au Tibet et leurs périples pour rejoindre le Dalaï Lama en Inde tant ce qu’elles ont vécu dans leur pays qu’elles aimaient tant été insuportable et douloureux. Voici leur reportage poignant.
Ce sujet a été réalisé de fin février à début mars 2008 dans les couvents de nonnes «Dolma Ling » et « Shugsep » tous deux situés près de Dharamsala, siège du gouvernement tibétain en exil et lieu de résidence du Dalaï Lama. Ces deux couvents font partie du « Tibetan Nun’s Project », présidé par Rinchen Khando Choehyal. Mariée au plus jeune frère du Dalaï Lama, elle a été ministre de l’éducation et la première présidente de l’association des femmes tibétaines. Elle a désormais choisi de dédier sa vie à l’éducation et à l’amélioration des conditions de vie des nonnes en exil.
C’est avant tout un projet d’éducation et de vie meilleure qu’elle leur propose : des cours d’anglais, de philosophie, de mathématique, de tibétain, d’horticulture, d’informatique… leur sont dispensés. En arrivant d’exil 99% des nonnes ne savent ni lire ni écrire. A Dolma Ling elles peuvent ainsi suivre un cursus de onze d’études grâce à de nombreux sponsors.
Lobsang est née en 1974 près de Lhassa. Elle devient nonne à 16 ans et rejoint le couvent de Kari. En 1991, avec onze autres nonnes elle manifeste à Lhassa devant le Barkhor, criant les slogans : « Longue vie au Dalaï Lama », « Free Tibet » et « le Tibet pour les tibétains ». Quatre des nonnes sont arrêtées et huit, dont Lobsang s’échappent. En 1992, elle participe à une seconde manifestation, 15 policiers surgissent de six jeeps, les menacent de leurs armes, les frappent au visage et les jettent visage au sol. Les nonnes sont emmenées à la prison de Gutsa où elles sont interrogées. On leur demande pourquoi elles protestent, elles répondent qu’elles n’ont pas d’auto-détermination et pas de liberté religieuse. Avant d’être frappées pendant deux heures, on leur répond que les tibétains ne seront jamais libres. Lobsang est restée 11 mois en prison, partageant sa cellule avec huit autres dont des voleurs et des prostituées. Elle a continué à pratiquer clandestinement, sachant que les autres prisonniers dénonçaient les nonnes pour avoir des réductions de peines. Elle devint extrêmement faible à cause de la malnutrition. Elle fut finalement condamnée à 5 ans de prison et emmenée à la prison de Drapchi, où son rôle était de nettoyer les toilettes. L’hiver elle devait rester assises trois heures par jour sur une surface glacée. Lobsang raconte être « shootée » comme un ballon par les battons des gardiens. Relâchée en 1997, Lobsang a pu s’échapper en 1998 après 31 jours de marche pour rejoindre le népal. Elle vit depuis 1999 au couvent de Dolma Ling.
Rigzin Chosang est née en 1928, c’est la doyenne du monastère de Shugsep en exil. Rigzin est devenue nonne à dix huit ans au monastère d’origine Shugsep près de Lhassa, ayant une sœur et un frère déjà dans la vie monastique. Son oncle à la tête du monastère de Drepung a été arrêté en 1966 avec un de ses étudiants. Tous les deux moururent en prison. Ce monastère de Shugsep fut détruit pendant la révolution culturelle comme bien d’autres. Une fois la révolution culturelle passée les chinois laissèrent une centaine de nonnes rebâtir Shugsep et Rigzin devient enseignante dans ce monastère, apprenant à lire et écrire le tibétain. Certains de ses étudiants sont arrêtés lors des manifestations de 1988 et 1989. Après avoir reconstruit le monastère les chinois vinrent dirent aux nonnes qu’elles ne pouvaient plus rester au monastère pour prier mais qu’elles devaient chercher un emploi en ville. Rigzin se retrouva seule au monastère et se dit qu’elle serait mieux en Inde près du Dalaï Lama où elle aurait la liberté de prier et d’enseigner.
A 62 ans la route de l’exil fut spécialement difficile physiquement pour Rigzin. Elle passe aujourd’hui la majeure partie de son temps en retraite. Même si elle adorerait retourner au Tibet, elle ne le fera pas, elle y serait immédiatement arrêtée et emprisonnée.
Tsechen Dolma, 26 ans est arrivée l’an passé à Dolma Ling. Elle a quitté clandestinement le Tibet, il y a 2 ans avec quatre de ses amis. Marchant de nuit pendant 18 jours de Lhassa vers la frontière du Népal, nourrie par les nomades rencontrés en chemin, elle a rejoint Kathmandou où elle restée un mois dans un camp de réfugiés. C’est avant tout pour avoir accès à l’éducation qu’elle a fui. Il devient très difficile d’apprendre le tibétain dans son propre pays. Tsechen a fait le choix récemment de devenir nonne car pour elle c’est la meilleure façon d’apprendre l’anglais, la philosophie, la langue et la culture tibétaine. Elle s’imagine professeur d’anglais d’ici quelques années. C’est le téléphone qui maintient les liens familiaux entre ici et la lointaine Lhassa. La sœur de Tsechen travaille elle à Lhassa dans un grand hôtel chinois.
Karma Dechen, agée de 35 ans, vit également au monastère de Shugsep en exil. Venant d’un village à la frontière de l’Amdo et du Kham, elle est originaire d’une famille de nomades. Obligée de s’occuper de sa famille après la mort de sa mère, alors que sa grande sœur était déjà nonne, elle prit un jour la décision de partir avec sa sœur sans en avertir personne. Elles prirent un an et demi de leur petit village de l’est du tibet jusqu’à la montagne sacrée du Mont Kailash, visitant en chemin tous les lieux sacrés du pays. Elles y rencontrèrent 12 autres tibétains et atteignèrent Kathmandou un mois et demi après, se nourissant de Tsampa et dormant dans la forêt le jour. Son frère a voulu fuir mais s’est fait arrêter l’an dernier. Karma Dechen a peur d’être sur écoute au téléphone et n’ose plus lui téléphoner.
Le 12 mars au matin, coïncidant avec le « Tibetan Women’s Uprising Day », une centaine de nonnes de Chutsang Nunnery à l’ouest de Lhassa ont marché au travers de Barkhor Street pour une manifestation pacifique. Elles ont été bloquées par la police armée chinoise et renvoyée à leur monastère. Il n’y a pas de rapport d’arrestation après cette marche. Cependant, le matin du 13 mars, le même groupe de nonnes a renouvellé sa marche de protestation dans les rues de Lhassa et ne sont pas rentrées dans leur monastère. Après avoir contacté le monastère, seules quelques nonnes agées y demeurent actuellement.
Source : Tibetan centre for human right and democraty.
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Après nous avoir relaté leur fuite du Tibet, les nonnes interrogées nous ont également confié leurs craintes et leurs espoirs pour l’avenir.
Les nonnes, bien entendu, déplorent haut et fort l’attitude chinoise. Elles craignent que les informations de propagande diffusées par le gouvernement ne finissent par convertir le reste du monde à leur cause, peur que la vision des autres pays ne soit modifiée à force de mensonge.
La belle-sœur de Dalaï Lama véhicule les mêmes angoisses. Depuis quelques années déjà, les autorités chinoises autorisent la reconstruction des lieux de culte, quitte à y installer de faux moines. Elle craint que cette façade ne finisse par bluffer les touristes en présentant une pseudo-liberté qui, en réalité, n’existe pas. En plus, le nombre de religieux dans ces monastères reconstruits à l’identique est restreint et la pression chinoise y est constante.
De nombreuses nonnes appréhendent également la modification physique de leur pays. Elles ont souligné que les chinois épuisaient aussi bien les ressources culturelles qu’environnemental du Tibet. Ils brisent leur pays, épuisent les minerais.
Enfin face aux jeux olympiques, les avis sont partagés ; les unes souhaitant son non-lieu ; les autres estimant que c’est l’occasion de soulever le problème des tibétains. Elles restent cependant très lucides sur les enjeux économiques.
Actuellement heureuses de leurs choix passés et conscientes de leur chance actuelle d’être libre de pratiquer leur religion et d’apprendre ; elles ont toutes dit espérer fortement retourner dans un Tibet libre afin de transmettre leur savoir et de retrouver leurs racines.
Texte et photographies : Olivier Adam et Sandrine Cormier
Source : jmaes.free.fr