Suisse – Six cent femmes pour faire bouger la planète
Six cents femmes et une poignée d’hommes ont participé à «l’Initiative pour la paix globale des femmes leaders religieuses et spirituelles». Une «initiative» qui avait été décidée lors du Sommet de la paix du Millenium, organisé en août 2000 au siège des Nations unies, à New York. Elle a été relayée par un comité multireligieux présidé par l’Américaine Dena Merriam, un petit bout de femme mue par une indéfectible foi, d’une part en la capacité des femmes à faire bouger les choses sur notre planète, d’autre part en la capacité des religions à faire prévaloir leur visage de paix, détourné par certains au profit de la haine.
Entre le siège genevois des Nations unies, pour la séance inaugurale, l’hôtel Beau-Rivage et le Jardin anglais des bords du lac Leman (où se tenaient les ateliers et les animations), ce sont deux visages de la planète religieuse qui dans un premier temps se sont côtoyés, avant de se découvrir puis, très vite, de se mélanger. D’un côté il y avait le groupe des « spirituelles », dont la figure emblématique fut, sans conteste, Amma (voir AR n035 février 2002), la « Mère universelle » de son vrai nom Sri Mata Amritanandamayi Devi, venue avec une centaine d’adeptes, tout de blanc vêtus et qui a reçu, à cette Occasion, le prix Gandhi 2002 pour la non-violence. Mais, à vrai dire, aucune tradition, aucune sphère culturelle, ne détenait le monopole de la spiritualité. Il suffisait de scruter les visages de tous les participants (les quelques hommes présents nous contraignent à l’emploi du masculin ?) à la journée de méditation du 6 octobre pour s’en convaincre. Un exemple parmi des centaines d’autres ? Celui de Sharifa Alkhateeb, présidente du Conseil nord-américain des femmes musulmanes, les yeux clos, le visage baigné de larmes, répétant tour à tour des mantras bouddhistes ou hindous, des prières soufis, chrétiennes ou zoroastriennes, des incantations chamaniques, africaines ou amérindiennes. « Dieu est partout présent », nous confiera-t-elle plus tard, en réajustant son voile sous la pluie.
De l’autre côté se trouvaient les femmes d’action. Celles qui ont décidé de mettre leur foi au service d’une cause, de concrétiser leurs croyances, de se mêler de politique, d’action sociale, d’écologie, d’éthique, bref, de passer à l’acte. Celles-ci étaient menées tambour battant par une maîtresse femme venue des ETats-Unis : la révérende Joan Brown Campbell, ancienne secrétaire générale du Conseil national des Eglises des Etats-Unis et première femme à détenir des fonctions aussi élevées dans cet organisme.
Ne dites surtout pas à la révérende que cette « Initiative », qu’elle copréside, pourrait se solder par une simple déclaration de bonnes intentions : « Toutes les grandes luttes ont commencé par des discours qui rassemblaient quelques dizaines, puis quelques centaines, et enfin des milliers, des millions de personnes, s’exclame-t-elle ! Et, si nous sommes là, c’est parce que nous sommes déterminées à agir sur tous les fronts. Nous nous donnons quelques jours pour puiser chacune un grand bol de courage.s Notre première initiative est dé1à décidée : envoyer une délégation de négociatrices en Irak, pour éviter une guerre. Nous échouerons ? C’est possible, mais nous récidiverons partout où le devoir nous appelle. »
On croit volontiers la révérende quand, au hasard d’un atelier, on croise Tenzin Sonam Nawanj. Le crâne rasé, toute menue dans sa robe safran, elle se débat au milieu de chiffres, de noms, de rendez-vous. Venue tout droit de Dharamsala, la plus tibétaine des villes indiennes, cette moniale est tout entière à ce qu’elle appelle joliment sa «nonnerie», un institut de formation de nonnes bouddhistes qùi accueille actuellement six cents femmes, et qui manque un peu de tout. Tenzîn semble farouche : elle est pourtant d’une détermination sans failles.
Ce qu’elle retiendra de ces journées ? Les contacts établis, bien sûr. Cette énergie qu’elle sent vibrer partout et qui se concrétise si vite. Et puis aussi, avoue-t-elle l’oeil malicieux, sa rencontre avec les traditions religieuses de l’Inde. «Là-bas, nous n’avons pas l’occasion de frayer ensemble. Ici, c’est magique! Nous avons d’ailleurs échangé nos adresses… »
Genève, ville neutre par excellence, a donc servi de lieu de rencontre à ces deux conceptions du religieux. Le résultat fut un étrange pique-nique dans le Jardin anglais, au bord du lac, aux sons des tambours traditionnellement consacrés à la purification de l’esprit. Sur les pelouses, chacune en costume traditionnel, des centaines de responsables de toutes les traditions religieuses et spirituelles picoraient leurs paniers-repas. Leurs conversations allaient de l’échange de recettes de cuisine à celui de techniques de méditation, ou encore d’ébauches d’idées pour des actions sur le terrain. Et là, toutes les barrières étaient abolies…