Mon passeport dit que je suis Thaï, mais en réalité j’ai vécu la majeure partie de ma vie hors de la Thaïlande à majorité Bouddhiste. Bien que mes rencontres avec des choses touchant au bouddhisme aient donc été assez limitées et impromptues, elles m’ont cependant donné un aperçu d’un genre de bonheur qui ne vient pas de la simple satisfaction des cinq sens ou de l’atteinte de buts mondains. Cet intérêt naissant pour la dimension spirituelle de la vie, qui était là depuis l’enfance, est devenu progressivement plus important tandis que je grandissais.
Mes parents étaient Thaïs, mais j’ai surtout grandi aux Philippines et vécu là-bas jusqu’à la fin du lycée, après quoi je suis partie aux Etats-Unis pour étudier pour ma licence. Vivant aux très catholiques Philippines, j’ai grandi en étant habituée à voir des images de la Vierge Marie et de Jésus Christ, à regarder des dessins animés sur la Bible, et à aimer la période de Noël (pas juste pour les cadeaux). Parmi mes tendres souvenirs d’enfance, l’un des plus anciens est lorsque je jouais avec les soeurs catholiques du couvent qui se trouvait dans notre rue. Cependant, pour certaines raisons , je ne me suis jamais sentie particulièrement attirée par la religion catholique.
Au sein de notre famille, ma mère était intéressée par le Dhamma, un intérêt qui avait grandi au fur et à mesure que les années passaient. Chaque année durant les vacances scolaires, nous retournions en Thaïlande pour voir la famille, et de temps en temps ma mère nous emmenait visiter un temple bouddhiste ma sœur et moi. Pour moi, aller au temple était quelque chose de spécial, pas quelque chose que je tenais comme normal comme cela aurait pu l’être si j’avais grandi en Thaïlande. J’appréciais d’y aller, car je quittais le temple heureuse et en paix. Lorsque j’ai eu neuf ou dix ans, ma mère nous a également encouragées ma sœur et moi à pratiquer des chants bouddhistes et un peu de méditation chaque jour, bien que le rythme se soit rapidement réduit à une fois par semaine. Je finis par ne plus chanter que quelques versets avant de me coucher, mais je me souviens que j’adorais cela. Même si je ne comprenais pas les paroles, en Pâli, je trouvais que chanter était réconfortant (et même amusant) et méditer apaisant.
En grandissant, j’ai ressenti aussi une affinité naturelle pour les enseignements proprement dits du Bouddha et je voulus en savoir plus. Par exemple, absolument toute seule, sans incitation de quiconque, je choisis au lycée d’écrire une dissertation comparant les enseignements des principales écoles du Bouddhisme. Cependant, ce n’était pas avant l’université que je me tournais vers le Dhamma, poussée par un besoin sincère. J’étais à Harvard, où tout le monde était supposé être très intelligent. Pourtant, cela me frappait de voir que la plupart des gens sur le campus (moi-même incluse) ne semblaient vraiment pas très heureux. Généralement, ils paraissaient stressés et obnubilés par ce qu’ils devaient faire pour réussir ou même juste pour survivre au quotidien. Cela m’amena à questionner ce qu’était vraiment cette supposée intelligence. Il me semblait que si une personne était réellement intelligente, elle devait savoir comment être heureuse.
Tous les enseignements du Bouddha, bien que vastes, peuvent être résumés en juste deux choses : la souffrance et la fin de la souffrance.
Heureusement, grâce à mes expériences positives du bouddhisme lors de mon enfance et de l’intérêt de ma mère pour le Dhamma, j’avais des ressources spirituelles vers lesquelles me tourner pour faire face quand le quotidien devenait difficile, plutôt que me tourner vers l’alcool ou les drogues ou pire. Lorsque je suis tombée sérieusement en dépression lors de ma seconde année à l’université, poussée par ma mère, je me suis rendue dans un monastère bouddhiste, où le moine de l’accueil m’offrit une traduction anglaise de « Buddhadhamma pour les étudiants », par Buddhadhasa Bhikkhu. Bien que la dépression ne soit pas une partie de plaisir, en y repensant, je vois que cela a été une expérience inestimable car elle me poussa au point où, pour la première fois de ma vie, je me posais les grandes questions. J’étais surprise d’avoir vécu si longtemps sans jamais me demander: Pourquoi naissons-nous ? Quelles sont les choses les plus importantes à faire dans la vie ? Qu’est-ce qu’une vie qui a du sens ? Une vie bien menée ? Je lisais le Dhamma avec un nouveau sens de l’urgence, cherchant désespérément à sortir de ma misère et à trouver des réponses à ces questions. En lisant ce livre de Buddhadasa Bhikkhu, j’ai été particulièrement touchée par une phrase où il disait que tous les enseignements du Bouddha, bien que vastes, pouvaient être résumés en juste deux choses : la souffrance et la fin de la souffrance.
Cela m’apporta une vraie clarté. Soit. Donc, vraiment, le but de la vie était d’en finir avec la souffrance. Cela résonnait certainement en moi à l’époque où je vivais une expérience de détresse aigüe, que tout ce qui comptait vraiment était d’une façon ou d’une autre d’en sortir. Et il y avait une façon – le Noble Sentier Octuple – un chemin qui ne faisait pas qu’éduquer le cerveau, mais faisait aussi intervenir le cœur. Depuis ce moment, j’ai su qu’en fin de compte, la chose la plus importante dans la vie était d’étudier et de pratiquer le Dhamma, d’utiliser cette vie pour progresser sur le Chemin et grandir dans le Dhamma, et de travailler à éradiquer la souffrance – aussi bien la mienne que celle des autres.
Ainsi, le cadeau inestimable que les enseignements du Bouddha m’avaient donné était le sentiment d’avoir un but dans la vie ainsi qu’un chemin à suivre. Pas juste n’importe quel chemin, mais « un chemin sûr ». Une fois que l’on a ceci dans la vie, peu importe à quel point les choses sont difficiles, à un niveau profond on a un pilier de force intérieure, une ancre pour rester amarré au milieu des vicissitudes de la vie. Parce qu’au fond, les pires sortes de souffrances dans la vie ne sont pas celles qui viennent de situations particulièrement tragiques ou de graves déceptions, mais celles d’être perdue sans repère, de s’enfoncer aveuglément dans un bourbier confus et terrible, sans savoir dans quelle direction se tourner, s’il faut reculer ou avancer. Même si avancer sur le Chemin peut être éprouvant, par le simple fait de s’y lancer, on se débarrasse de toute une masse de souffrance.
Cependant, autour de mes vingt ans, bien qu’ayant la vague notion qu’un jour ou l’autre j’aimerai me mettre sérieusement à pratiquer le Dhamma, je voulais tout de même faire l’expérience de m’amuser normalement dans le monde et d’en profiter. Pendant quelques années, j’ai vécu comme les jeunes en Occident, travaillant et m’éclatant dans une des villes les plus branchées du monde, New York. Mais il ne me fallut pas longtemps pour voir les limites de ce genre d’amusement et que je m’en lasse. Au cours de ma dernière année là-bas, j’ai commencé à suivre des cours de méditation et à faire du bénévolat au New York Insight Meditation Center.
Lorsque je suis retournée en Thaïlande à l’âge de vingt-cinq ans, ma mère était atteinte d’une grave maladie au stade terminal, ce qui m’a rendu le concept de mortalité beaucoup plus réel et présent. Je me demandais : Qui sait quand tu vas mourir ? Combien de temps encore vas-tu attendre avant de sérieusement te consacrer au Dhamma ? Puisque que j’étais de retour en Thaïlande, la terre promise en termes de ressources bouddhistes, il y avait de nombreuses opportunités d’apprendre et de pratiquer le Dhamma. J’ai commencé à lire davantage à propos du Dhamma, à assister à des enseignements sur le Dhamma, à participer à des retraites de méditation, et à visiter des temples.
Au fil des années, tandis que je m’engageais de plus en plus dans la pratique du Dhamma, je réalisais que les méthodes que le Dhamma me donnait pour entraîner l’esprit avaient cet effet graduel mais remarquable de développer la conscience et de me sentir plus stable. Cependant, j’ai aussi commencé à ressentir certains conflits et limites en essayant de pratiquer plus sérieusement en tant que laïque, alors que les activités et les valeurs auxquelles je donnais priorité étaient désormais à l’opposé de ce que la majorité des gens autour de moi et de la société en général valorisaient. En même temps, à un niveau plus large, il y avait une tendance émergente dans le bouddhisme contemporain – pas seulement en Occident mais aussi en Thaïlande – d’une laïcisation grandissante, avec des pratiquants laïcs se sentant plus en confiance pour étudier, pratiquer et enseigner le Dhamma eux-mêmes, en faisant l’impasse sur la nécessité d’avoir des monastiques, des temples, et des ordinations. Il me semblait qu’il y avait quelque chose d’étrange, là; il semblait y avoir des ambiguïtés et des contradictions dans les vies de ces pratiquants dévoués, et un effacement des différences réelles et significatives entre pratiquer en tant que femme ou homme laïc et pratiquer en tant que monastique. J’étais si intriguée par cette problématique que j’écrivis ma thèse de master sur ce sujet, avec l’idée de non seulement écrire pour la recherche académique, mais aussi pour me permettre d’y réfléchir à un niveau personnel.
Je me sentais de plus en plus attirée par la vie monastique.
Bien que chaque personne soit différente et que chacun.e. puisse trouver différents chemins adaptés aux circonstances de sa propre vie, pour moi personnellement, je me sentais de plus en plus attirée par la vie monastique. Quand j’ai commencé à réfléchir sérieusement à l’idée de prendre la robe et à rassembler le courage d’exprimer mon inspiration aux gens, j’ai rencontré de la part de certains un soutien, mais aussi de l’opposition, du scepticisme, et du découragement de la part d’autres. Un moine m’a dit, « C’est mieux d’être une femme laïque car tu as plus de liberté que si tu deviens monastique. » J’ai pensé, mais, c’est exactement pour cela que je veux devenir monastique – il y a trop de liberté en tant que femme laïque ! C’est une liberté trompeuse. Oui, vous êtes ostensiblement libre de faire ce que vous voulez, mais ce que cela signifie vraiment est que vous êtes liée à la tyrannie de vos kilesas (poisons mentaux), à la merci des forces d’’-avidité, de haine, et d’illusion dans votre esprit. Être véritablement libre, c’est être libre des kilesas.
Un bon exemple était mes batailles perdues contre les chips. Oui, j’étais complètement libre de passer au supermarché en bas de la rue à chaque fois que j’avais envie de ces jolis petits paquets de chips. J’étais complètement incapable de dire non à « Maître Kilesa » qui m’ordonnait d’aller faire cela. De tous les vices existants, je suppose que la « junk food » en est l’un des moindres, mais mon incapacité à dépasser ce besoin compulsif de manger des quantités astronomiques de ce que je savais être de mauvais aliments est emblématique des difficultés essentielles que chacun.e. rencontre lorsqu’il.elle essaie d’entraîner son esprit et d’apprivoiser les kilesas sans le soutien apporté par de bonnes conditions.
Sila (la vertu) est l’un des plus grands soutiens. Lors de ma dernière année en tant que laïque, j’avais commencé à suivre les huit préceptes une fois par semaine lors du jour de fête Bouddhiste, et je m’étais sentie bénie – sauvée, même – tout particulièrement par le précepte de ne pas manger de nourriture solide après midi. Plutôt que de me battre pour garder sous contrôle les démons des chips, comme je le faisais, plutôt sans succès, les six autres jours de la semaine, j’avais ce jour là les préceptes comme un mur préfabriqué qui les gardait dehors. Ils n’avaient pas de moyen de s’approcher trop près pour que j’aie à les affronter. Donc je ne pense pas que suivre davantage de préceptes m’ait causé plus de souci, mais apporté plutôt, plus de liberté. Ou pour être plus précise, les préceptes étaient des restrictions extérieures qui fonctionnaient comme un moyen de gagner plus de liberté intérieure.
Ainsi, la notion de respecter plus de préceptes (les dix d’une samaneri, ou nonne novice), pas seulement une fois par semaine, mais tout le temps, me paraissait être une très bonne idée. Bien que j’aie pu avoir des raisons karmiques d’être attirée vers la vie monastique, j’avais aussi des raisons très rationnelles de vouloir prendre la robe : tout simplement, j’avais de bonnes raisons de croire que la vie monastique serait un excellent support pour l’étude et la pratique du Dhamma.
Lorsque j’ai été ordonnée en tant que samaneri, mon expérience personnelle m’a prouvé que le bénéfice était réel, et de beaucoup plus de façons que j’aurais pu l’imaginer auparavant. Si je devais exprimer les nombreux bénéfices que m’ont apporté le fait d’être ordonnée en une idée simple, ce serait ceci : c’est tellement plus facile de pratiquer l’Effort Juste, d’éviter de faire naitre des états d’esprit néfastes, d’abandonner les états d’esprit néfastes qui sont déjà là et de nourrir des états d’esprits bénéfiques pour les faire croître jusqu’à leur développement complet. Après tout, un esprit heureux n’est rien d’autre qu’un esprit bénéfique.
Ce ne sont pas seulement les préceptes supplémentaires mais tout le mode de vie et l’organisation du lieu monastique qui sont construits pour vous aider à progresser dans le Dhamma. Pour reprendre l’exemple des chips, ça aide immensément que, non seulement les préceptes interdisent de manger après midi, mais aussi que la cuisine soit fermée. Vous ne voyez pas de nourriture traîner, vous ne voyez personne grignoter ou vous inviter à grignoter, et vous avez toutes sortes d’activités bénéfiques pour vous occuper le soir et vous aider à penser à autre chose qu’à la nourriture (avec les chants quotidiens du soir, la méditation en groupe, et les enseignements sur le Dhamma). Vous pouvez imaginer le regard désaprobateur de l’enseignante si jamais elle vous attrapait en train de grignoter « illégalement » ; vous pouvez imaginer la déception de vos consœurs nonnes, particulièrement les jeunes, si elles vous voyaient faire ; et plus important, vous-même ressentiriez beaucoup plus de honte à le faire maintenant que vous portez les robes et que vous vivez des généreuses donations des laïques.
De plus, vivre dans un environnement baigné par le Dhamma, permet au Dhamma de commencer à prendre racine dans votre esprit d’une façon beaucoup plus régulière et efficace que si vous vivez, disons, au coeur de Bangkok, bombardée par les messages publicitaires de la culture de consommation moderne. C’est comme apprendre une langue étrangère. Quand vous prenez une heure de cours une fois par semaine, ou même une fois par jour, vous pouvez étudier pendant des années et ne progresser que lentement et par à-coups. Mais si vous vivez dans un endroit où vous êtes totalement immergée dans cette langue, où vous devez vivre et respirer cette langue, vous pouvez l’apprendre beaucoup plus facilement et aisément. C’est comme cela, l’ordination : vous vivez et respirez complètement la langue du Dhamma.
Un autre bénéfice important que m’a apporté la vie monastique est l’opportunité de pouvoir suivre des périodes de retraite de méditation plus longues que ce qui était possible en tant que laïque. De plus, ce sont des retraites qui trouvent une fondation solide dans une vie déjà basée sur la renonciation, pas comme les pauses quelques peu artificielles de sessions de méditation hors de la vie laïque. Je me sens très reconnaissante pour ces opportunités de retraite qui me sont offertes par mon enseignante et ma communauté monastique. Ces périodes passées à se consacrer à une pratique de méditation formelle de façon soutenue et continue sans distractions externes peuvent vraiment donner un coup d’accélérateur à votre pratique. Quand l’esprit devient plus subtil et clair, comme cela peut arriver en retraite, il est possible de gagner une compréhension plus profonde du fonctionnement de l’esprit et de la véritable nature des choses. La chance de perfectionner ses facultés méditatives lors d’une retraite peut aussi mener à plus de facilité pour maintenir au quotidien la pleine conscience et des états d’esprit bénéfiques hors de la retraite.
Les bénéfices de l’ordination en tant que samaneri sont déjà immenses et profonds, mais après mon ordination en tant que bhikkhuni, je me suis sentie encore plus soutenue dans ma pratique. Je me souviens que, lorsque j’étais une laïque résidant dans un monastère en Thaïlande, tous les résidents du monastère convenaient de pratiquer le chant du matin ensemble. Lorsque nous arrivions à cette partie à la fin où les laïcs restaient silencieux et seuls les moines chantaient, « Comme le Béni, nous pratiquons la Vie Sainte, suivant complètement l’entraînement des bhikkhus » (Tasmim bhagavati brahmacariyam carama/Bhikkhunam sikkha sajivasamapanna), je ressentais comme un coup de poignard dans le cœur. Je me sentais si triste que les femmes n’aient pas une telle opportunité, et souhaitais vraiment que nous l’ayions un jour. Je me sens si reconnaissante et incroyablement chanceuse que maintenant, moi et de plus en plus de femmes, ayons pu recevoir l’ordination supérieure et pareillement, suivre complètement l’entraînement des bhikkhunis.
Les préceptes de bhikkhuni
Les gens me demandent si je trouve que suivre les préceptes de bhikkhuni (311 règles dans la tradition Théravada) est ennuyeux ou restrictif. Oui, c’est restrictif, fabuleusement restrictif ! Ça vaut complètement la peine même si on a quelques petits soucis pour les respecter. Ce que je ressens pour les préceptes de bhikkhuni est identique à ce que je ressentais pour les préceptes de samaneri, mais d’une façon exponentielle – c’est-à-dire, une bénédiction et une aide encore plus fabuleuses ! Encore une fois, ce que les règles restreignent n’est pas votre liberté, mais vos kilesas. Plus de règles de restrictions créent un filtre encore plus fin pour bloquer des souillures de plus en plus fines.
Même en tant que « enfant » bhikkhuni d’à peine trois mois, je trouve qu’avoir les règles de bhikkhuni avec lesquelles travailler a donné à ma pratique quelque chose auquel se confronter. Développer la pleine conscience de manière continue est grandement facilité par le fait d’avoir plus de règles qui empiètent sur les détails de la vie courante. Elles ajoutent plus de points concrets sur lesquels fixer la pleine conscience – des choses simples, pratiques dont vous devez vous rappeler à intervalles réguliers plutôt que passer la journée en tentant vaguement de maintenir la pleine conscience. Par exemple : « Oh, est-ce que cette chose comestible a-t-elle été offerte ? Quand ? Combien de temps peut-on s’en servir ? »
Avoir plus de règles signifie aussi plus de choses auxquelles se heurter, plus souvent. Chaque fois que vous rencontrez une situation dans laquelle une règle s’applique, vous avez la chance de voir votre esprit et le genre de kilesa qui surgit. Vous pouvez voir pourquoi vous rencontrez de la résistance à respecter une règle particulière, que ce soit à cause de la paresse ou de l’avidité ou d’un attachement aveugle ou peu importe. C’est plus facile de voir les souillures en détail quand en situation, vous avez cette loupe pour vous focaliser sur elles. Vous ne pouvez pas lâcher prise sur les souillures si vous ne savez même pas qu’elles sont là. Mais chaque fois que vous pouvez lâcher prise, chaque fois que vous choisissez de respecter les règles malgré les objections de vos souillures, vous réaffirmez votre engagement envers le Chemin. De plus, comme souvent, l’intention est un facteur important pour décider si oui ou non vous avez commis une offense : vous pouvez voir plus clairement et précisément quelles sont vos intentions lorsque vous faites quelque chose.
Apprendre et pratiquer le Vinaya vous aide aussi à développer la sagesse, lorsque vous devez comprendre quel est le véritable esprit des règles et comment les respecter de façon sensée, en gardant le juste milieu entre être trop laxiste ou trop rigide, deux extrêmes qui ne sont pas d’une grande aide.
Pendant la récitation du Patimokkha (à laquelle je me sens très heureuse de pouvoir participer), ou juste quand je revois les règles par moi-même, je me sens toujours émue quand j’arrive à la Bhikkhuni Pacittiya numéro vingt : « Si une bhikkhuni devait pleurer et se mortifier, ceci doit être confessé. » Cette règle en particulier capture clairement l’esprit du Vinaya pour moi – ce ne sont pas des commandements draconiens faits pour opprimer ou des règles nébuleuses fait pour rendre la vie obscure, mais des mesures pleines de compassion que le Bouddha a patiemment et attentivement mises en place, telles des protections pour empêcher ses enfants de se faire du mal à eux-mêmes et aux autres.
En effet, vivre avec les règles de bhikkhuni m’a fait me sentir plus proche du Bouddha, qui est devenu pour moi non plus une statue, mais de plus en plus une vraie personne ; qui, en tant que père de la sangha, veillait sur les moines et les nonnes et les aidait avec amour à résoudre leurs problèmes et se sentir en sécurité. L’ordination de bhikkhuni m’a fait me sentir aussi plus proche de la sangha, en ce que le mot ordination n’est pas une traduction appropriée du terme Pali upasampada, signifiant « acceptation ». Comme on me l’a rappelé à mon upasampada, j’ai maintenant été acceptée en tant que membre à part entière de la sangha, avec tous les droits et toutes les responsabilités que cela implique.
Même avant l’ordination en tant que bhikkhuni, en tant que simple samaneri j’avais déjà récolté les bienfaits énormes de la Sangha des bhikkhunis. Je me sens tellement reconnaissance envers le monastère de Nirodharam Bhikkhuni Arama, sous la direction plein de compassion de Phra Ajahn Nandayani, pour m’avoir donné l’opportunité précieuse d’être ordonnée en tant que samaneri, puis de m’avoir soutenue dans mon entraînement de nonne novice. C’est rare de trouver en Thaïlande un endroit qui soutient totalement les femmes qui suivent les dix préceptes. C’est également rare de trouver un lieu où prospère une communauté monastique entièrement féminine de grande taille. C’est un ressenti très différent de vivre en tant que femme dans un monastère uniquement composé de moines, ou de vivre en tant que femme, surtout en tant que nonne, dans un monastère de nonnes. À un niveau basique, il y a un tel sentiment de confort et de facilité. Plutôt que d’être toujours sur mes gardes, essayant d’être invisible et de ne pas déranger autant que possible, même quand j’étais juste une visiteuse laïque, je peux à Nirodharam me sentir à l’aise et libre d’aller n’importe où dans le monastère et avoir une relation décontractée avec les nonnes. Une fois nonne moi-même, je me suis sentie encore plus proche des autres nonnes, qui étaient pour moi comme des tantes ou des sœurs aînées ou cadettes.
Avoir enfin des modèles spirituels féminins
C’était particulièrement inestimable pour moi d’avoir enfin des modèles spirituels féminins. Auparavant, je n’avais que les moines comme modèles, peu importait leur sagesse ou leur compassion, il y avait toujours une absence de connexion dans mon inconscient, parce que je ne pouvais pas me voir en eux. Avec Phra Ajahn Nandayani, au contraire, je pouvais être inspirée par l’exemple de quelqu’un qui était une femme tout comme moi, mais contrairement à moi, était clairement avancée dans sa pratique, ce qui me donnait la preuve que c’était possible de le faire en étant une femme.
Je me sens particulièrement redevable à Phra Ajahn pour ses efforts incessants pour transmettre les enseignements du Bouddha à ses étudiantes. Que ce soit à travers ses discours ou les manuels, elle s’efforce de travailler pour que l’on en tire les bienfaits. Sa capacité à expliquer une large gamme d’enseignements du Dhamma de façon aisée à comprendre et à se rappeler ont été une aide inestimable dans ma formation monastique. Plus que cela, pouvoir l’observer de près dans des situations formelles et informelles (ce qui est beaucoup plus difficile avec les moines) m’a donné beaucoup d’enseignements sur comment agir, parler, et penser dans la vraie vie. Inversement, être observée par son regard vigilant est une grande bénédiction car cela est assurément rare de trouver quelqu’un qui soit suffisamment attentionné pour vous corriger.
Cependant, je n’ai pas eu que Phra Ajahn comme enseignante à Nirodharam. J’ai aussi appris et été inspirée par les autres nonnes, que ce soit mes aînées, mes pairs, ou des juniors, en ce qu’elles donnaient l’exemple de tant de belles qualités du cœur. En vivant près d’elles dans une communauté chaleureuse et aimante, j’ai pu apprendre beaucoup et, je l’espère, absorber quelque chose, de leurs magnifiques exemples.
J’ai aussi beaucoup profité de la Sangha étendue des Bhikkhunis hors de Nirodharam. J’aime l’expression Sangha des Quatre quartiers. Pour moi, l’un des plus beaux aspects de l’ordre des bhikkhunis est qu’il s’agit d’une communauté de « sororité » (sisterhood) sans frontières et hors du temps. Elle ne dépend pas d’une enseignante particulière (à part le Bouddha). C’est très émouvant de voir comment les bhikkhunis autour du monde se sont entraidées, dans cet effort de pionnières pour faire renaître la Sangha des Bhikkhunis théravadines. J’ai ressenti ceci tout particulièrement lors de ma propre ordination supérieure, en voyant la grande bonté et générosité des bhikkhunis qui prêtaient volontiers main forte à une sœur – même pas de leur monastère ou de leur pays – afin qu’elle reçoive cette acceptation. Je suis profondément reconnaissante envers ma préceptrice, Ayya Tathaaloka des Etats-Unis, pour l’avoir permis et aussi envers les autres bhikkhunis et samaneri d’Amérique et de lointains recoins d’Australie qui ont été impliquées, particulièrement la communauté du monastère de Dhammasara pour avoir généreusement accueilli l’ordination. Je suis aussi reconnaissante envers mon enseignante et la communauté à Nirodharam pour m’avoir accordé leur soutien moral et s’être réjouies pour moi.
De plus en recevant l’ordination de bhikkhuni, l’on n’est pas seulement acceptée au sein de la Sangha des Bhikkhunis, mais aussi dans l’ubato sangha (sangha duelle) des bhikkhus et bhikkhunis. Cela signifiait beaucoup pour moi d’être également accueillie dans la sangha par mes frères bhikkhus. Je me sens maintenant faire partie d’une grande et chaleureuse famille, où nous tous enfants, frères et sœurs, essayons d’aider « papa » dans le commerce familial : « Buddhasasana Corp. » (c’est-à-dire, incorporant à la fois les hommes et les femmes, mais non lucratif, bien évidemment). Je me suis sentie encouragée en entendant de nombreux bhikkhus dire aux bhikkhunis, « Génial, vous pouvez nous aider à faire ce travail de dispenser le Dhamma, le Sasana ». Nous devons tellement à la Sangha des bhikkhus, qui, pendant des siècles dans la tradition Théravada, ont porté le lourd fardeau, pratiquement seuls, de préserver et de transmettre le Dhamma jusqu’à aujourd’hui. Dans les premiers moments du renouveau de la Sangha des bhikkhunis, la Sangha des bhikkhus l’a aussi énormément aidée en facilitant ou en aidant tranquillement l’ordination des bhikkhunis, tout en apportant enseignements et conseils. Je me sens vraiment reconnaissante pour ce soutien et j’espère qu’en grandissant et mûrissant, nous les bhikkhunis, pourrons faire toujours plus pour aider nos frères bhikkhus à servir le Sasana. Puissions-nous travailler ensemble pour aider toujours plus d’êtres, nous-mêmes y compris, à se libérer de la souffrance.
Munissara Bhikkhuni est née de parents Thaïs à Manille, aux Philippines, en 1978. Après avoir vécu aux Philippines, au Bangladesh, et aux Etats-Unis, elle est retournée en Thaïlande en 2003. Elle y a reçu l’ordination de samaneri en juillet 2009 à Chiang Mai, au monastère de nonnes Nirodharam Bhikkhuni Arama, et reçoit l’ordination de bhikkhuni en mars 2012 au monastère de nonnes Dhammasara à Perth, en Australie, où elle vit actuellement.
Source : http://www.bhikkhuni.net, traduction Bouddhisme au féminin