Namo tassa Bhagavato arahato sammasambuddhassa
« Mieux que faire une offrande de cent pots de riz, pratiquez mettā un seul instant ». Ces paroles du Bouddha montrent l’efficacité et les bienfaits de la pratique de mettā.
Mettā est un mot pāli (où Pāli, parfois c’est en minuscule, parfois en majuscule) qui signifie amour bienveillant. Il existe d’autres traductions comme amitié, bienveillance ou amour universel. Pratiquer mettā signifie rayonner de la bienveillance et souhaiter que tous les êtres soient heureux. Parfois mettā est traduit par « amour ». Mais l’usage de ce mot est délicat, car il fait le plus souvent référence à la relation que l’on peut avoir dans un couple, entre amants ou entre parents et enfants. Or ce type d’amour est le plus souvent basé sur l’attachement, la dépendance, le désir et de nombreuses attentes non exprimées. En d’autres termes, ce que l’on
appelle généralement « amour » est attachement tandis que mettā est détachement ou amour sans attachement.
Mettā est un état mental que l’on peut développer par la pratique. C’est un état d’esprit pur et complètement désintéressé (mais pas dans le sens « sans intérêt » ; plutôt : sans désir pour des profits égoïstes !) qui est bénéfique pour soi et pour les autres, dans l’ici et maintenant comme dans les existences futures. Quand cette qualité du coeur ou cet état mental est présent, le facteur mental de dosa est absent, ce qui signifie que, pendant la pratique de mettā la colère, la haine et l’aversion ne sont pas présents. De plus, comme nous l’avons vu, l’esprit est également libre de lobha, ce qui signifie qu’il n’est pas victime du désir, de l’attachement, du besoin ni de l’avidité. La nature originelle de l’esprit et du coeur des êtres vivants est mettā.
La méditation mettā consiste à développer cet état mental qui souhaite le bonheur à tous les êtres.
La méditation mettā consiste à développer cet état mental qui souhaite le bonheur à tous les êtres. C’est une pratique qui ouvre le coeur et inclut chaque être vivant dans notre amour, de manière inconditionnelle. Cela signifie que nous devons développer cette qualité en nous mêmes, en prenant une autre personne comme objet de notre méditation. Il doit être bien clair que cette pratique n’a pas pour but d’envoyer de l’amour bienveillant à l’autre personne pour la rendre heureuse. Nous n’essayons pas d’envoyer ou de transmettre quelque chose à l’autre personne. Nous la prenons simplement comme objet de méditation pour développer cette qualité en nous. Nous devons donc faire attention aux mots que nous utilisons quand nous parlons de mettā pour ne pas induire en erreur le méditant. Dire que l’on « rayonne mettā » est une bonne description parce que cela n’implique pas que mettā soit envoyé ou transmis à une autre personne ou à un groupe de gens. Quand la qualité d’amour bienveillant et d’amitié est pleinement développée, l’esprit lui-même est mettā, ou le coeur lui-même rayonne mettā ; il n’est pas nécessaire que nous l’envoyions.
Cela ne veut pas dire que mettā n’a pas d’effets bénéfiques sur les autres personnes. Au contraire, quand quelqu’un pratique mettā cela peut avoir des effets extraordinaires et inattendus sur les autres, comme vous pourrez le constater dans les anecdotes que je vais vous raconter. Je veux seulement souligner ici que mettā bhāvanā, ou la méditation mettā, consiste à développer une qualité d’amour bienveillant en nous-mêmes.
Quand nous nous lançons dans la pratique de mettā il est important que nous en comprenions très clairement l’esprit. Mieux nous comprendrons la nature de mettā, plus il sera facile de développer cette qualité du coeur. En ayant une bonne connaissance de ce qu’est mettā et de ce qu’il n’est pas, nous serons en mesure d’orienter notre esprit dans la direction des qualités qui
doivent être cultivées.
L’Esprit de Mettā
· L’esprit de mettā, c’est souhaiter le bien-être et le bonheur de tous les êtres vivants. On ne souhaite jamais rien qui ne soit bénéfique;
· Dans l’esprit de mettā nous oeuvrons toujours pour le bien des autres, jamais pour engendrer des résultats négatifs ou faire souffrir quelqu’un;
· L’esprit de mettā est toujours et à jamais paisible et frais. Il ne brûle jamais;
· L’esprit de mettā est toujours amour bienveillant. Il ne se transforme jamais en haine;
· L’esprit de mettā est toujours doux, gentil et fin. Il n’est jamais dur ni brusque;
· L’esprit de mettā est toujours clair et frais. Il ne se flétrit jamais;
· L’esprit de mettā ne regarde et ne voit que le bon côté des choses. Il ne regarde ni ne voit jamais le côté négatif ; il ne voit ni ne cherche les défauts chez les autres;
· L’esprit de mettā est toujours magnanime. Il n’oppresse ni ne commande;
· L’esprit de mettā est uniquement tourné vers l’aide aux autres. Il est complètement étranger à toute impulsion destructrice;
· L’esprit de mettā oeuvre uniquement pour le bien des autres, pas pour notre profit égoïste;
· L’esprit de mettā est libre de toute complication. Il est toujours indépendant.
La méditation mettā ou mettā bhāvanā est l’un des quarante objets de méditation mentionnés par le Bouddha pour apaiser l’esprit — dans la méditation samatha — et elle fait également partie du groupe des Quatre Demeures Divines ou Brahmā Vihāra. Celles-ci comprennent mettā, karuṇā, muditā et upekkhā (amour bien veillant, compassion, joie altruiste et équanimité).
La méditation mettā peut aussi être pratiquée pour atteindre les jhāna, états de profonde concentration. Comme pour tous les objets qui mènent à cet état d’esprit profondément concentré, le méditant se sent calme, tranquille, paisible et heureux pendant la durée de sa méditation.
La méditation de la tranquillité, samatha, peut apporter une paix et un bonheur
temporaires, mais elle n’a pas le pouvoir d’effacer définitivement toutes les souillures ni
d’éradiquer la source de l’insatisfaction et de la souffrance.
Pour acquérir la sagesse et une véritable compréhension qui seront en mesure d’extirper les causes de la souffrance à leur origine et d’engendrer une paix et un bonheur durables, nous devons pratiquer la méditation de la vision pénétrante ou vipassanā.
La méditation mettā peut aussi être pratiquée dans le seul but de développer cette qualité du coeur, sans essayer d’atteindre les jhāna. Dans ce cas, nous devons être attentifs à ne pas pratiquer seulement pour nous sentir « bien dans notre peau ». Même si le but de mettā est différent de celui de vipassanā, cette pratique peut grandement améliorer notre pratique de vipassanā. Dans la méditation vipassanā, nous en arrivons à réaliser la nature non personnelle de tous les phénomènes mentaux et physiques, réduisant ainsi à néant l’idée de l’existence d’un « je » ou d’un « soi » bien solide. Nous commençons à voir au travers de la conception erronée d’un « moi » qui serait au centre de l’univers. D’un autre côté, en pratiquant mettā, nous en venons à réaliser qu’il n’y a en réalité ni « je » ni « soi » qui serait séparé des autres. Nous prenons conscience du lien qui relie tous les êtres vivants entre eux et voyons qu’il n’y a pas de différence entre « moi » et « les autres ». Comme l’état naturel de mettā est, d’une part, libre de toute avidité, attachement et complication et, d’autre part, libre de toute aversion, haine et mauvaise volonté, nous sommes moins sujets à réagir par de tels états mentaux négatifs quand nous sommes en relation aux autres. Plus l’esprit est libre, moins il y a de souillures pour assombrir le pur état naturel de l’esprit et plus la qualité de mettā pourra s’étendre.
La pratique de la méditation mettā peut être d’une grande aide
La pratique de la méditation mettā peut être d’une grande aide, un outil très utile pour notre méditation vipassanā. D’un côté, les feux brûlants des souillures peuvent être atténués et éteints et, d’un autre côté, notre patience et notre acceptation peuvent grandir énormément.
Dès lors, l’esprit se calmera plus facilement et ouvrira la voie de la réalisation. Comme je l’ai dit, mettā est une attitude bienveillante du coeur et de l’esprit, c’est souhaiter à chacun d’être heureux et de se sentir bien. Quand nous pratiquons la méditation mettā, nous devons développer ce souhait sincère en le répétant en silence dans notre esprit. « Que tous les êtres soient bien, heureux et en paix. Que tous les êtres soient bien, heureux et en paix. »
Nous devons veiller à ne pas répéter ces mots mécaniquement comme un mantra, mais, au contraire, à rester constamment avec le sens de cette phrase. Le sentiment de mettā devient de plus en plus fort et de plus en plus puissant avec la pratique, jusqu’à ce que, finalement, il imprègne tout notre corps. Et quand tout le corps est imprégné d’amour bienveillant, il rayonne tout naturellement cette vertu, de près comme de loin.
Je vais vous donner un exemple qui illustre cela. C’était il y a quelques années quand Chanmyay Sayadaw (Sayadaw Ashin Janakabhivamsa) était au Canada. Chanmyay Sayadaw fut invité dans une librairie appelée « Banyan Books » où on lui offrit de choisir tous les livres qu’il voudrait. Une femme au teint clair, d’une quarantaine d’années, s’approcha de Sayadaw et resta tout près de lui sans rien dire. Au bout d’un petit moment, elle lui dit : « Permettez-moi de rester près de vous, s’il vous plaît. Ma santé n’est pas bonne et je me sens très faible physiquement et mentalement depuis pas mal de temps. Par contre, quand je suis près de vous, je sens que je reprends des forces physiques et mentales, mon esprit et mon corps sont en paix. » Alors, Sayadaw lui donna la
permission de rester près de lui en disant : « Je vous en prie, restez. » Pendant tout le temps qu’il regardait les livres — et il y en avait beaucoup —, elle resta tranquillement à ses côtés. Au bout d’une heure, elle dit à Sayadaw : « Merci mille fois pour la paix que vous m’avez donnée. Je suis si heureuse. Je n’avais jamais ressenti une telle paix de toute ma vie. » Et elle partit sur ces mots.
Le commentaire que fit Chanmyay Sayadaw sur cet incident, c’est que ce genre de choses se produit parce qu’il pratique la méditation mettā tous les jours. En conséquence, la femme a ressenti la paix dans son propre corps et son esprit et a retrouvé toutes ses forces mentales et physiques. En réponse à la force et à la puissance du mettā d’une personne, les êtres qui entrent
en contact avec cette personne ressentiront également de la paix et de la joie, de la sérénité et de la force. Tout ceci est tout à fait naturel.
Il y a différentes façons de pratiquer la méditation mettā.
Il y a différentes façons de pratiquer la méditation mettā. Non seulement on la pratique pour tous les êtres, mais on peut aussi la pratiquer pour des personnes ou des êtres particuliers et pour des groupes de personnes ou d’êtres particuliers.
Traditionnellement nous devons commencer par pratiquer mettā en premier lieu pour nous-mêmes. Si nous sommes honnêtes avec nous-mêmes, nous devons reconnaître que tout ce que nous désirons c’est le bonheur. C’est un souhait fondamental que l’on retrouve chez tous les êtres vivants. Ce n’est que quand nous reconnaissons et comprenons ce désir de bien-être profondément ancré en nous, que nous comprenons pleinement qu’en cela tous les autres êtres vivants ne sont pas différents de nous.
Sur la base de cette compréhension, il est plus facile de cultiver un coeur ouvert, tolérant et bienveillant envers tous les êtres, indépendamment de leurs croyances, de leurs actes, de leur sexe ou de leur position sociale. Souvenons-nous que mettā signifie amour universel quelles que soient les conditions et les circonstances.
En conséquence, nous devons commencer par développer mettā pour nous-mêmes avec ces mots : « Que je sois bien, heureux et en paix. Que je sois bien, heureux et en paix ». Quand nous sentons que ce désir d’être bien devient fort et authentique, nous lançons un pont vers les autres êtres : « De même que je souhaite être bien, heureux et en paix, que tous les êtres soient bien,
heureux et en paix ». Ensuite nous continuons simplement avec le souhait de bonheur et de bien être pour les autres. De même que nous souhaitons être traités gentiment, les autres veulent être traités gentiment. De même que nous voulons être respectés, les autres veulent être respectés. De même que nous ne voulons pas être tués, les autres ne veulent pas être tués.
mettā prend naissance à la source de la considération que nous avons pour nous-mêmes et pour les autres. L’amour bienveillant jaillit d’un coeur compatissant, d’une empathie avec chaque être vivant.
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Je conclurai par ces mots de Sa Sainteté le 17e Karmapa :
« Du moment où nous ouvrons les yeux le matin jusqu’au moment où nous nous endormons le soir, si nous pouvons passer toute la journée avec un coeur bon et aimant et un visage enjoué, notre esprit sera détendu quand nous nous endormirons le soir. Par contre, si nous passons la journée à perturber les gens, si nous nous disputons et même si nous gagnons, au moment de nous endormir nous aurons des regrets et notre esprit ne sera pas en paix. »
Hmawbi, Myanmar (Birmanie), octobre 2003
Source : Les livrets du Refuge (extraits)
Ariya Ñani Bauman est une nonne bouddhiste de Tradition birmane. En 1992, elle partit en Birmanie pour pratiquer sous la direction du Maître Sayadaw U Janaka. Après qu’elle eut médité quelques années au Centre principal de Yangoon, son Maître l’a chargée de s’occuper des méditants occidentaux dans un Centre de campagne (Forest Center). Depuis, elle traduit les Maîtres birmans, donne elle-même des enseignements et dirige des retraites de méditation vipassanā en Australie, aux États-Unis, en Thaïlande et dans plusieurs pays d’Europe. Nous l’avons présenté ici