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Paroles de gratitude – Joshin Sensei, Jokei Sensei –

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À l’occasion de la venue en France de Aoyama Roshi, pour introniser Jokei-Ni sensei abbesse de la Demeure sans limites, Joshin Sensei et Jokei-Ni Sensei ont  exprimé leur gratitude de ce que la Demeure sans limites a fait fleurir comme graines du Dharma.

Joshin Sensei

Je me souviens bien, nous étions encore en plein travaux quand Moriyama Roshi est entré dans cette pièce, et il a regardé autour, et il a dit : «  C’est déjà là »

Quelques mois plus tard, lors de l’inauguration, c’était le 20 juin 1993,  

il a dit : «  L’an dernier, une graine de Dharma, née  de clairs espoirs et de la volonté des Maîtres, a été plantée ; nous voyons éclore les premiers bourgeons… »

Aujourd’hui, 25 années plus tard, la présence d’Aoyama Roshi porte témoignage avec générosité de cette floraison du Dharma.

Et tant d’aide reçue pour faire fleurir la Demeure sans Limites :

tous les Maîtres, oui, et vous tous, bien sûr, vous qui avez étudié, travaillé, nettoyé, cuisiné et fait zazen avec nous,  et Jokei Ni, bien sûr, qui, avec constance, dans la joie a fait grandir ces fleurs du Dharma.

Et toutes les personnes qui ne sont pas venues, qui ne viendront jamais :

nos voisins, par exemple, et la quantité incroyable de thé, café et petits biscuits que nous avons dévorés chez eux, sans compter la plus grande part de leur potager qui se retrouve sur notre table, tout l’été.

ceux qui nourrissent, oui : le boulanger qui fait le pain, le minotier qui moud la farine, ceux qui ont planté le blé, ceux qui l’ont récolté…

De proche en proche, si on regarde bien, on voit que tous les êtres sont ici, avec nous, à la Demeure sans Limites.
Quand nous nous inclinons, quand nous faisons gassho, c’est devant tous les êtres. Gratitude…

…Sans oublier ces longs hivers avec la neige et la burle, le grand cerisier devant la cuisine, sa beauté qui réjouit le coeur au printemps,

les taupes, les vers de terre,  et les loirs – beaucoup d’aide , les loirs, dans la cuisine, avec la confiture ! –

le chant de la source qu’on entend,  à l’aube, dans le grand silence du premier  zazen,

les montagnes enveloppées de brume, et les vieilles pierres de cette maison…Gratitude.

Alors, alors… mettre nos pas dans les pas de celles et ceux qui ont marché avant nous sur ce Chemin, avancer ensemble,

accompagner et être accompagnée,

être guidée et guider,

recevoir et donner : ouvrir les mains, le coeur apaisé,

quelle chance ! Quelle chance !! *

 

 

Jokei Sensei

Dès que j’ai passé la porte de la Demeure sans Limites, j’ai intimement su que c’était là que je voulais… que je voulais quoi au juste… Je n’en savais rien, aucune idée du bouddhisme, aucune idée d’une amie de bien, aucune idée religieuse. Je voulais un lieu pour pratiquer zazen, la méditation silencieuse, sans support et voilà qu’ici, en plus de ces temps d’assises quotidiens réguliers, Joshin Sensei nous proposait tout le reste. Voilà que le zazen du zendo était aussi dans la cuisine, dans la bibliothèque, dans notre thé, dans nos silences, nos marches, dans les enseignements et nos discussions. C’est tout ça qui a fait que j’ai voulu m’installer à la DsL.

Sans réelle idée de ce qui m’y attendait.

Aujourd’hui je voudrais remercier particulièrement Joshin Sensei pour tout ce travail du Dharma depuis plus de trente ans à la Demeure sans Limites. Si nous sommes réunis aujourd’hui,  c’est parce qu’un jour elle a lancé un caillou qui a fait plein de ricochets et nous voilà !

Ces derniers temps, le poème de Ryokan :

« Puisse mon habit de moine être assez vaste
pour rassembler 
tous les êtres qui souffrent
dans ce monde impermanent. »

m’accompagne tout particulièrement. En préparant ces quelques paroles, voilà ce à quoi j’ai pensé. Quel est cet habit de moine ? Ce kashaya, O’kesa en japonais, qui serait assez vaste pour rassembler tous les êtres qui souffrent dans ce monde impermanent ?

Alors, je suis retournée dans les textes, et dans un chapitre du Shobogenzo de Maître Dôgen intitulé « Kesa Kudoku », les vertus du Kashaya, on lit qu’il lui donne différents noms : « le vêtement de l’émancipation », « le vêtement du champ des bienfaits », « le vêtement sans forme, recouvrant toute chose », « le vêtement de la bienveillance et de la grande compassion », « le vêtement de l’Éveil, parfait et sans égal ».

C’est le vêtement sans forme et pourtant recouvrant toute chose. Le vêtement de la rizière bienheureuse, cette rizière qui nourrit tous les êtres affamés et assoiffés que nous sommes à travers l’espace et le temps.

Pour moi, la Demeure sans Limites est un lieu juste pour que ce O’Kesa puisse se déployer afin d’apaiser notre soif « Tanha ».

La plupart d’entre nous savent que le Kashaya comme le rakusu est fait de pièces de tissu qui sont cousues les unes avec les autres pour former un grand rectangle. Tout en cousant ces morceaux de tissu, nous récitons mentalement, comme un mantra, les 3 Refuges comme le faisaient au temps du Bouddha les personnes voulant entrer dans la Sangha. Il est déjà arrivé à la Sangha de la Demeure sans Limites de faire un O’Kesa pour l’offrir à un Maître.  

Pour que tous puissent participer, nous envoyons des pièces dans différents lieux, Paris, Belgique, Marseille, afin que chacun puisse en coudre une partie. Ainsi le O’Kesa se démultiplie, des dizaines et des dizaines de mains cousent quelques points, chaque point est différent car chacun d’entre nous est différent et pourtant nous cousons un seul O’Kesa.

Bien sûr si l’on regarde juste une petite partie des points, ou bien bande par bande, il y a des chances pour que l’on trouve cela horrible ! Des points dans tous les sens, des grands, des tout petits, des sur la ligne et des en zig-zag, Et puis, on assemble les bandes et tout à coup cela prend tout son sens, c’est devenu magnifique, tous les points s’harmonisent les uns avec les autres, chaque point trouve sa place, le grand, le petit, le en zig-zag et celui sur la ligne. On ne peut plus vraiment les différencier, ils ne forment plus qu’une seule grande pièce de tissu.

 Et je me suis dis, voilà c’est ça la Sangha, c’est la vision de Moriyama Roshi, son travail quand il a ouvert Zuigakuin fin des années 70, un temple dans la préfecture de Yamanashi, à une centaine de kilomètres de Tokyo. Un temple de montagne ouvert à tous, japonais et occidentaux, différents et semblables comme les petits points du Kashaya. Lui aussi avait lancé un caillou dans l’eau et nous en voyons les ricochets encore aujourd’hui.

J’ai parlé des points mais il faut bien voir que ces points ne sont possibles que parce qu’il y a le fil, toujours le même fil, c’est ce fil du Dharma, de l’ enseignement du Bouddha qui est Un. Souvent on regarde les points sur le dessus et on perd de vue le fil, on ne le voit pas, mais il est toujours là en dessous. On reste sur l’apparence, le discontinu, mais le fil est continu. Notre pratique est d’aller au-delà des apparences pour pénétrer l’invisible.

Le fil est ce qui nous relie :  nous ne pouvons vivre que dans la relation à l’Autre, il n’y a pas de séparation, et en cela, la pièce de tissu même est sans couture. Et on ne peut dire où elle commence et où elle s’arrête.  

 C’est comme ça. Où commence la Demeure sans Limites ? Pas sur ce plateau ardéchois c’est sûr. Parce qu’un jour Joshin Sensei est allée vivre à Zuigakuin, parce que Moriyama Roshi avait été envoyé aux Etats-Unis et que là il avait vu que les Occidentaux avaient une forte demande pour zazen et qu’il a créé Zuigakuin, mais penser que cela commence là, c’est aussi insuffisant, parce que Zuigakuin n’aurait pas pu voir le jour sans Niwa Zenji qui a donné son accord ni sans Togari Roshi qui a bâti le lieu, et vous ne trouverez jamais de cause première au commencement de Zuigakuin ou de la Demeure sans Limites.

Le fil continue : parce que j’ai été envoyé au Nissodo à Nagoya, et que j’ai rencontré là bas Aoyama Roshi, et que cela a été la seconde rencontre importante de ma vie. Et ce kasaya pourtant ne commence toujours pas là. Puisque Aoyama Roshi, est entrée dans le temple  de Muryoji à l’âge de 5 ans, qu’elle a suivi la formation de nonne de l’école Sôtô au Nisodo et qu’elle en a été nommé directrice dès l’âge de 37 ans après un cursus universitaire bouddhique de plus de 10 ans. Sans début, sans fin.

Et si je regarde la Demeure sans Limites au présent, qu’est-ce que je vois ? De la même façon, des personnes qui viennent ici, une Sangha importante faite de laïcs qui ont pour beaucoup pris Refuge et qui diffusent le Dharma à travers leurs vies. Des personnes qui soutiennent financièrement ce lieu et aussi des personnes qui restent quelques jours ou bien d’autres qui y passent une heure ou deux. Il y a tous ceux qui sont venus souvent et que l’on ne voit plus, mais là aussi ce ne sont que les apparences puisqu’ils restent toujours là, présents. Tous ceux qui ne sont jamais venus et qui pourtant nous soutiennent matériellement depuis des années, ceux qui sont morts et ceux qui ont choisi une autre Voie, tous sont là, à chaque instant.

Ce lieu n’existerait pas sans ces centaines de personnes qui se sont assises dans le zendo, qui ont bu un thé sous le cerisier, qui ont semé des haricots verts ou chanté les sutras, tous ceux qui ont ri, discuté, se sont tus.

C’est grâce à toutes ces personnes que d’autres peuvent venir aujourd’hui et que d’autres encore  viendront demain. C’est grâce à tous que la Demeure sans Limites est vivante, qu’elle irradie et continue de transmettre les enseignements du Bouddha.

C’est pourquoi ce Kashaya qu’est la Demeure sans Limites est sans début ni fin… Merci.

Source : DAISHIN, le bulletin de la Demeure sans limites de septembre 2018