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Trois aspects de la libération par Anne Michel

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Il y a trois aspects de la libération que je trouve précieux car ce sont de concepts qui peuvent faire basculer l’énergie d’inquiétude inhérente à la nature humaine vers la confiance et la joie.

Ces trois aspects sont la non-passion, le désenchantement et la délivrance.

La non-passion

La vie est dure. Même si nous avons un bon karma, les autres souffrent autour de nous ; tout ce que lisons dans les journaux fait mal, inquiète, nous met en colère… L’inquiétude émerge et, nous avons tendance à nous étourdir par un besoin d’intensité émotionnelle qui remplit l’instant de beaucoup de pensées non bénéfiques. Sans le voir, nous préférons parfois le drame à un vécu neutre et paisible.

C’est important de prendre en considération ce besoin d’intensité qui passe d’une attitude  glacée et distante à une attitude bouillante et pétillante. En s’approchant de cette énergie d’intensité, nous comprenons peu à peu que c’est une souffrance qui nous emprisonne dans une agitation épuisante. Au lieu de demeurer dans une ouverture de conscience accueillante, large et fraternelle, nous nous contentons de rester dans une fermeture égotique douloureuse.

La non-passion est le lâcher prise du besoin d’intensité lié à l’avidité pour ce qui nous attire et à l’aversion pour ce qui nous rebute. L’abandon de l’avidité et de l’aversion offre un contentement bienfaisant et stable. Ce qui est bouillant ou glacé devient tempéré, juste bon à vivre. Tant que nous n’avons pas réalisé le bienfait de cet abandon pour le corps et l’esprit, nous allons nous tromper de cible en cherchant sans cesse la satisfaction dans l’intensité de l’expérience bonne ou mauvaise. La non-passion c’est la force tranquille qui résiste à l’attrait pour les huit attachements mondains exposés par le Bouddha : attachement à la louange, au succès ou à la bonne réputation, au gain, ce désir d’avoir toujours plus, aux plaisirs, et rejet de la critique ou du blâme, de l’échec, de la perte, des déplaisirs ou des frustrations de toutes sortes. 

La Pleine Conscience nous aide à accueillir avec impartialité ces énergies lorsqu’elles émergent et à éviter de leur donner du pouvoir en les prenant personnellement. La non-passion n’est pas un état d’indifférence lourde, c’est une compétence à recevoir la totalité de la vie avec un corps ancré dans la présence, un cœur confiant et ouvert, un mental calme et maîtrisé et une conscience pleine. Il y a une grande différence entre la conscience ordinaire qui fait que je suis réveillée et la Pleine Conscience qui m’éveille à la présence, à la sagesse et à la compassion.

Le désenchantement

Nous sommes liés à nos valeurs et à nos habitudes sans voir qu’elles sont des créations de notre esprit. Nous leur donnons un pouvoir qu’elles ne devraient pas avoir : nous croyons qu’elles sont vraies. Le « moi » avec ses schémas n’est pas la vérité ! Il est réel : nous ressentons l’expérience en nous-même. Ce n’est pas un autre qui a un tel vécu, mais nous n’avons pas à le prendre pour permanent, personnel, vrai.  L’expérience change sans cesse. Elle paraît parfois délicieuse, parfois horrible. Nous donnons énormément d’importance à nos perceptions. Et quand elles ont changé, c’est comme si elles n’avaient jamais existé ! Notre identification est la même mais elle s’adresse à autre chose. Nous passons d’un objet d’intérêt à un autre, parfois intérieur, parfois extérieur, et ce qui demeure, c’est cet investissement identifié où je crois à la vérité de mon expérience.

C’est ce qui est appelé enchantement. Nous avons reçu un sort : nous croyons que nous sommes l’expérience ou que l’expérience est à nous. L’aveuglement nous fait donner beaucoup trop d’importance à ce que nous vivons. Nous oublions que les joies et les peines sont le réel du monde, non seulement pour nous, mais pour chacun. Nous nous approprions la joie ou la peine qui émerge dans l’instant. C’est la cause de la souffrance : cet aveuglement qui nous pousse à négliger de voir « comment nous nous lions aux choses » et à donner toute l’importance aux choses même.

Collés à notre vécu, nous manquons de perspective. Comprendre cet enchantement nous libère du poids du monde et nous ancre dans une confiance légère et simple, parce que nous savons que nous n’appartenons pas à la complexité du monde intérieur et extérieur qui tente de nous illusionner. Ce monde est un rêve qui paraît vrai. Il suffit de nous souvenir comment nous voyions le monde lorsque nous avions 10 ou 20 ans et comment nous changeons notre compréhension des choses selon les informations que nous recevons, pour appréhender cette déformation que l’identification crée face à notre vécu. Notre appartenance est bien plus large que ce que nous offre nos ressentis, nos perceptions et nos constructions mentales. Nous pouvons alors vivre dans le monde, sans être de ce monde. Ce non-attachement donne un sentiment bienfaisant d’espace et de liberté.

La délivrance

Lorsque nous approfondissons la connaissance du « qui suis-je », nous comprenons et vérifions par l’expérience que la vie est bien liée aux trois caractéristiques exposées par le Bouddha : anicca, impermanence, dukkha, imperfection et anatta, non-moi.

La délivrance est la fin de la croyance en un moi séparé du reste qui aurait toute puissance sur sa vie. Intellectuellement c’est assez facile à admettre car nous sommes sans cesse confrontés au choc de l’impermanence, que ce soit en lien avec notre santé ou celle de l’autre, notre état intérieur ou celui de nos proches, la situation sociale ou celle des pays voisins, la mort que nous tenons prudemment à distance et qui nous attend tous….

Concrètement c’est un défi de nous souvenir et d’intégrer en profondeur que les choses changent et que notre manière de voir les choses est conditionnée par la situation actuelle, et n’a aucune consistance. Nous sommes attachés et nous croyons à nos pensées. Et ces pensées véhiculent une perception de moi comme étant permanent, puissant, et autonome. La délivrance est très tributaire de la place que nous donnons à nos pensées.

La méditation nous apprend à voir nos pensées pour ce qu’elles sont : des fabrications conditionnées par notre état intérieur et celui des personnes autour de nous, et par les situations de vie qui émergent indépendamment de notre volonté.  Lorsque nous apprenons à voir nos jugements pour juste des jugements, les commentaires pour juste des commentaires, nos opinions pour juste des opinions, nous dégageons l’esprit de la croyance que nous sommes nos pensées.  « Je pense donc je suis » a dit Descartes ! « Je ne pense pas donc quoi ? » dit le Maître Zen !

La délivrance arrive parce que l’esprit devient spacieux, capable de recevoir les pensées sans y croire. Alors, la pensée étant mise à sa place, elle devient porteuse de sagesse et permet de développer deux choses intimement connectées : lâcher notre vue égocentrée et nous ouvrir aux autres. La joie de la délivrance est la joie de l’altruisme. En ayant lâché l’intérêt obsessionnel pour moi, mes ambitions ou mes problèmes, nous voyons émerger un élan naturel d’intérêt pour autrui.  Nous nous sentons concernés et heureux de participer au bonheur des autres.

La délivrance nous pousse à questionner comment participer à la fin de souffrance dans ce monde auquel nous participons momentanément. Lorsqu’il y a ce retournement d’une vue égocentrée à un élan altruiste, la vie devient « assez ». L’instant est bon parce qu’il est, non pas parce qu’il est comme ceci ou comme cela. Nous sommes délivrés de ce sens du moi qui crée la vie complexe et tendue. Le soin pour les autres émerge et fait du bien non seulement autour de nous mais aussi à nous-même.

Personne ne donne à un autre. C’est la vie qui se partage parce qu’il n’y a rien d’autre à faire. L’engagement devient puissant et libre. Il n’y a pas d’inquiétude mais beaucoup de compassion pour l’aveuglement que nous voyons à l’œuvre, et beaucoup de joie pour tous ces élans de bonté qui émergent partout et auxquels nous sommes pleins de gratitude de pouvoir participer. Le sens du moi d’autrui est l’abandon du moi. Cet abandon est une merveille que le moi aspire à vivre sans le savoir. A nous de lui montrer le chemin !

Pour nous aider à développer ce potentiel de libération et de service qui repose en chacun de nous, nous pouvons prendre refuge dans ce qui n’est pas de ce monde. C’est le triple joyau : Bouddha, la présence, Dharma, la sagesse et Sangha, la fraternité. Le chiffre trois a de tout temps représenté ce qui est au-delà du monde visible par nos sens ordinaires. En prenant refuge concrètement dans ces trois joyaux, nous faisons un clin d’œil à ce qui ne peut pas être conceptualisé et l’intuition d’un tout autre se développe et prend racine en nous. La non-passion, le désenchantement et la délivrance sont un lâcher prise des valeurs du monde et un lien avec le cœur de l’être, ce qui ne naît pas et qui ne meurt pas.

                                                                                   Anne Michel.     26/03/2019

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