Khandro Rinpotché est une des rares femmes tibétaines à être considérée comme maître spirituel. Appréciée en Occident pour sa chaleur et son style d’enseignement direct et pénétrant, elle a expliqué à Pierre-Yves Ginet que la situation des nonnes tibétaines était en train de changer.
La place des femmes paraît actuellement assez limitée dans la communauté bouddhiste tibétaine. Vous êtes probablement le maître féminin le plus éminent de notre temps. Quelles sont vos remarques sur ce sujet.
Si on se réfère à l’histoire, c’est vrai, il n’y a eu que peu de maîtres importants qui étaient des femmes. Mais si l’on considère la contribution des femmes au bouddhisme tibétain, alors il me semble que leur place est beaucoup plus importante qu’il n’y paraît. Dès l’origine du bouddhisme au Tibet d’ailleurs, puisque Yeshé Tsogal était la principale disciple de Padmashambava : nos enseignements ne seraient pas ce qu’ils sont sans son apport. S’il y a eu moins de grands Tulkous femmes, je crois que c’est surtout dû au fait que la société tibétaine, comme toutes les sociétés orientales, a toujours été dominée par les hommes : dans un monde patriarcal, les femmes doivent se battre davantage pour atteindre le même résultat que les hommes.
Je suis un tulkou, issue d’une famille très respectée, mais même pour moi, parfois, en tant que femme, je me heurte à certaines réticences. Alors j’imagine ce que cela peut être pour des femmes qui n’ont pas ma situation et mon histoire. Je pense que la mentalité tibétaine, globalement, accepte désormais l’idée que les femmes peuvent être de très bonnes pratiquantes, mais il y a toujours une certaine retenue face à des tulkous femmes : les Tibétains doutent encore que des femmes puissent être de très grands maîtres. Certains refusent aussi, pour de multiples raisons plus ou moins cachées, l’idée qu’une femme puisse atteindre l’Eveil dans un corps de femme, au cours de son existence.
Ceci dit, en reprenant l’histoire, on note tout de même qu’il y a eu un certain nombre de Tulkous femmes, surtout dans la tradition Kagyu, même si les écoles Sakya et Nyingma ont également fourni des maîtres féminins d’importance. Hormis ces Tulkous, il faut également souligner que nombre de grands maîtres, et en particulier dans la lignée de mon père, Mindruling Rinpotché, ont eu des filles très actives, parfois exceptionnelles, qui ont joué un rôle considérable pour faire perdurer la doctrine et les enseignements.
Chaque génération, à chaque époque, a en fait connu des femmes qui ont joué un rôle primordial pour la propagation de la tradition. Avant 1949, il y avait un nombre considérable de moniales et de nonneries, même si ce fait est peu connu. Ces centres d’études étaient de grande qualité, probablement plus qu’ils ne l’avaient jamais été. Avec l’invasion chinoise, beaucoup de nonnes ont du quitter ces enceintes. Beaucoup ont choisi l’exil. A la fin des années cinquante et au début des années soixante, la situation des réfugiés tibétains était extrêmement difficile et, pour survivre, certaines nonnes sont revenues à la vie laïque, ont fondé une famille.
À la fin des années soixante-dix, la vie devenant moins délicate en exil, certains grands maîtres, dont le XVIème Karmapa et Dilgo Khyentse Rinpotché, ont encouragé de façon très vive la « renaissance » des nonnes. J’étais encore très jeune mais je me rappelle très bien les propos du Karmapa, chaque fois que nous le rencontrions : il disait toujours que l’avenir des nonnes était essentiel pour notre société.
Les années quatre-vingt furent marquées par un grand renouveau des moniales, en exil comme au Tibet. Cela perdure encore aujourd’hui. Les nonnes sont de plus en plus nombreuses et les enseignements qu’elles reçoivent sont de bien meilleure qualité. Cela reste bien sûr difficile, dans une société toujours dominée par les hommes, mais je crois que globalement, la communauté tibétaine, laïque et religieuse, soutient cet essor des moniales.
La plupart des maîtres, hommes ou femmes, gardent les moines et les nonnes auprès d’eux pour la vie. Je crois que cela devrait changer. Après une quinzaine d’années d’enseignement auprès d’un maître, une nonne devrait le quitter pour partir vers une autre nonnerie, propager ce qui doit l’être, et devenir cet exemple vivant qui serait beaucoup plus efficace que de grands discours pour la communauté qui l’accueillera. Mais ce mouvement ne doit pas seulement être de la responsabilité des maîtres. Il doit aussi être impulsé par les moniales. Ces mutations prendront sans doute encore du temps, même si le mouvement s’accélère depuis quelques années, mais encore une fois, je suis très optimiste sur ce qui va se passer à ce sujet dans les années à venir.
Oui, mais aujourd’hui dans les nonneries la plupart des maîtres ou des oumzés (Maître de discipline d’une communauté) sont des hommes.
C’est exact. Si vous placez un homme à ces responsabilités dans une nonnerie pour une période restreinte, cela peut être bénéfique. Mais si c’est de façon permanente, je ne crois pas que cela soit souhaitable. Là, c’est évidemment du ressort des maîtres.
En tant que Rinpotché, quelles relations avez-vous avec les Tulkous hommes ? Font-ils une différence du fait que vous soyez une femme ?
Maintenant ils sont probablement habitués. Je ne vous cacherais pas que parfois, avec quelques rares personnes, je vis encore des situations assez amusantes. Mais c’est très rare. Aujourd’hui, j’ai vraiment l’impression qu’il y a beaucoup de sympathie à mon égard. Au début, je pense qu’ils étaient surtout gênés, car c’était la première fois qu’ils étaient confrontés à cette situation et ils ne savaient pas comment se comporter. Mais j’insiste, cela ne génère jamais quelque chose de très important, juste des petits quiproquos sans importance.
Propos recueillis par Pierre-Yves Ginet
Source Bouddhisme Actualités
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