Alice Miller (12 janvier 1923 – 14 avril 2010), docteur en philosophie, psychologie et sociologie, ainsi que chercheuse sur l’enfance, est l’auteure de 13 livres, traduits en trente langues.
Née en Pologne, à Lvov (aujourd’hui Lviv, en Ukraine), le 12 janvier 1923, Alice Miller a étudié la philosophie, la psychologie et la sociologie à Bâle (Suisse), avant d’entreprendre, à Zurich, une formation de psychanalyste.
A partir de 1954, elle enseigne à l’université de Zurich et exerce en tant que psychothérapeute. Son désaccord avec certaines thèses freudiennes la conduira toutefois, en 1988, à rompre avec l’Association psychanalytique internationale (API) dont elle était membre. A ce stade de sa carrière, elle est en effet convaincue que l’enfant n’est pas un « pervers polymorphe » régi par ses pulsions sexuelles, comme l’affirme la psychanalyse. Et que cette dernière, a contrario, minimise les sentiments de haine que peuvent avoir les parents vis-à- vis de leurs enfants.
Au début des années 1980, Alice Miller décide de se consacrer uniquement à l’écriture et à l’exposé de ses idées, qu’elle développera dans une dizaine de livres. Ce choix la fera connaître dès son premier ouvrage, Le Drame de l’enfant doué (PUF, 1983). Par enfant « doué », elle entend l’enfant sage : celui qui s’adapte aux règles édictées par ses parents pour combler leurs attentes, au prix d’une répression plus ou moins sévère de ses propres sentiments.
S’inspirant des récits de ses patients, ainsi que de biographies de dictateurs et d’artistes, Alice Miller insiste sur le fait que la maltraitance produit non seulement des enfants malheureux, mais aussi, bien souvent, des parents maltraitants. Contraints dans leur jeune âge de refouler colère et angoisse, ce n’est qu’à l’âge adulte qu’ils peuvent décharger ces émotions. Sur leurs propres enfants et sur les autres.
Dans C’est pour ton bien (1984), qui la rend célèbre auprès du grand public, elle secoue ainsi l’opinion allemande en appliquant cette lecture à la trajectoire d’Adolf Hitler. La cruauté du dictateur nazi, affirme-t-elle, trouve son origine dans la structure de sa famille : un prototype du régime totalitaire, où la seule autorité incontestée et souvent brutale était le père.
Toutes les victimes ne seront pas forcément bourreaux, mais tous les bourreaux ont été victimes.
« PÉDAGOGIE NOIRE »
Elle remet en cause les principes d’éducation appliqués en Europe au cours des derniers siècles. Des principes régis par le précepte « Qui aime bien châtie bien », qu’elle qualifie de « pédagogie noire », et qui brisent, selon elle, la volonté de l’enfant pour en faire un être docile et obéissant, mais sujet d’un douloureux conflit intérieur.
Prenant son propre cas en exemple, elle estimait avoir été « conçue sans amour par deux enfants sages qui devaient obéissance à leurs parents et souhaitaient engendrer un garçon, afin de donner un petit-fils aux grands-pères » (Notre corps ne ment jamais, 2004).
Alice Miller a été largement soutenue par de grandes organisations internationales, l’Unesco et l’Unicef. Son engagement radical contre les violences « ordinaires » faites aux enfants est aujourd’hui relayé par nombre de thérapeutes et d’associations. C’est aussi l’attitude du Conseil de l’Europe, qui mène campagne, depuis plusieurs années, pour l’interdiction de la claque et de la fessée.
C’est au moment où le Conseil de l’Europe débatait à Strasbourg le 27 avril 2010, sur l’abolition des «châtiments corporels» dans les 47 pays qui le composent, qu’a été annoncée la disparition d’Alice Miller.
Aux Etats-Unis, il y a encore 20 Etats où les châtiments corporels sont autorisés à l’école et même sur les adolescents. Les personnes qui peuvent s’indigner de ces faits et qui en mesurent les graves conséquences, comprendront sans problème tous les livres d’Alice Miller. Elles comprendront aussi pourquoi cet auteure s’est autant engagée pour libérer la société de son ignorance à l’aide de ses livres, articles, tracts, interviews et réponses aux courriers des lecteurs sur son site.
Elle insistait sur le fait que la maltraitance des enfants produit non seulement des enfants malheureux et perturbés, des adolescents destructeurs mais aussi des parents maltraitants. Grâce à ses recherches sur l’enfance, Alice Miller a compris que la violence exercée sur les enfants conduit à la violence globale qui règne sur le monde entier, d’autant plus que l’on commence à frapper les enfants dans les premières années de leur vie, justement au moment où leur cerveau se construit.
Même si les conséquences scandaleuses sont évidentes, elles ne sont pas perçues et encore moins prises en compte par la société. Or, la situation est facile à comprendre : les enfants ne sont pas autorisés à se défendre de la violence des parents et sont alors obligés de supprimer et refouler les réactions naturelles à l’agression parentale comme les émotions de la colère et d’angoisse. Ce n’est qu’à l’âge adulte qu’ils peuvent décharger ces émotions très fortes, sur leurs propres enfants ou, dans certains cas, sur des nations toutes entières.
L’omission de ces discours sur l’enfance dans la société permet d’entraîner chez les enfants, dans l’obscurité familiale, des comportements extrêmement dangereux comme la brutalité, le sadisme et d’autres perversions, ce que l’on aime appeler ensuite, chez l’adulte, des «troubles génétiques». Ce n’est qu’en prenant conscience de cette dynamique que l’on peut rompre la chaîne de la violence, pensait Alice Miller, et elle a consacré son oeuvre à cet éclairage.
Alice Miller pensait que, malgré les aspects tragiques de sa découverte, celle-ci apporte quand même des options positives et optimistes, parce qu’elle ouvre la porte à la conscience, à la perception de la réalité de l’enfant et en même temps à la libération chez l’adulte de sa peur enfantine et de ses effets destructeurs. Sa perception du vécu réel de l’enfant n’est plus en lien avec celle de la psychanalyse. A son avis, celle-ci reste dans la vieille tradition qui accuse les enfants et protège les parents, autant dans la théorie que dans la pratique. C’est pour cette raison qu’elle avait quitté l’Association Psychanalytique Internationale.
La singularité d’Alice Miller réside dans le fait qu’elle s’engage au delà d’un argumentaire clinique pour nous inciter à la prise de conscience que les humiliations vécues par un enfant laissent une trace durable dans sa croissance, qu’il risque de transmettre à la génération suivante. Et pour l’auteure, il ne s’agit pas tant d’un problème individuel (familial) mais d’un comportement qui concerne aussi bien la vie sociale que politique.
D’où son engagement «militant», qui ressort de l’extrait d’un «tract» qu’elle a signé et diffusé en mai 2003 :
(…) Quelles leçons le bébé retient-il des fessées et autres coups ? :
• Que l’enfant ne mérite pas le respect.
• Que l’on peut apprendre le bien au moyen d’une punition (ce qui est faux, en réalité, les punitions n’apprennent à l’enfant qu’à vouloir lui-même punir).
(…) C’est le corps qui garde en mémoire toutes les traces nocives des supposées « bonnes fessées ».
Comment se libère-t-on de la colère refoulée?
• Dans l’enfance et l’adolescence: On se moque des plus faibles. On frappe ses copains et copines. On humilie les filles. On agresse les enseignants. On vit les émotions interdites devant la télé ou les jeux vidéo en s’identifiant aux héros violents.
• A l’âge adulte : On perpétue soi-même la fessée, apparemment comme un moyen éducatif efficace, sans se rendre compte qu’en vérité on se venge de sa propre souffrance sur la prochaine génération.
On refuse (ou on n’est pas capable) de comprendre les relations entre la violence subie jadis et celle répétée activement aujourd’hui. On entretient ainsi l’ignorance de la société.
On s’engage dans les activités qui exigent de la violence.
On se laisse facilement influencer par les discours des politiciens qui désignent des boucs émissaires à la violence qu’on a emmagasinée et dont on peut se débarrasser enfin sans être puni: races « impures », ethnies à « nettoyer », minorités sociales méprisées.
La démarche d’Alice Miller implique un grand respect pour le parcours de chacun(e) et la recherche de la compréhension de ce qui a fait qu’on devient «violent» avec son enfant. Ceci n’enlève rien à la responsabilité mais permet de la situer, de l’analyser et d’envisager des réponses pour la traiter.
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