Blanche Hartman que nous connaissons dans la rubrique : « Question aux enseignantes » a quitté ce monde en mai dernier (2016). Elle était une figure importante du Zen Soto aux Etats Unis. Elle a été abbesse du grand centre Zen de San Francisco. Nous lui rendons hommage en publiant ici l’un de ses enseignements :
« L’un des enseignements du Bouddha les plus significatifs est l’impermanence. Mais, en fait, c’est simplement comme ça que les choses sont – toute chose, à tout moment, partout. Vivre en harmonie avec cette vérité apporte un grand bonheur. »
Si on y pense, c’est impressionnant, étonnamment merveilleux d’être simplement vivant ! c’est un cadeau merveilleux, et particulièrement un beau jour de printemps comme aujourd’hui. Mais il m’a fallu des années de pratique de la méditation et une attaque cardiaque avant que j’en arrive au fait que simplement être vivant est extraordinaire. Comme je sortais de l’hôpital, je pensais : « Waouh, je pourrai être morte. Le reste de ma vie est juste un cadeau ». Et alors j’ai pensé : « ça a toujours été un cadeau depuis le tout début, et je ne l’ai jamais remarqué jusqu’à ce que soit presque fini ! »
Je pense que c’est vrai pour la plupart d’entre nous, que nous ne remarquons pas quel cadeau c’est de simplement être en vie. Comment est-ce possible que nous ne le remarquions pas ? bon, nous prenons cela comme allant de soi. Mais ce cadeau ne va pas sans problèmes. L’un de ces problèmes est véritablement la chose même qui m’a fait réaliser à quel point la vie est extraordinaire, à quel point c’est un cadeau et combien je l’apprécie. C’est le fait que la vie est évanescente, impermanente. Elle est précieuse parce que nous ne pouvons pas la prendre comme allant de soi. Quand nous réalisons cela, nous pouvons nous étonner : « bon, si ma vie est un cadeau, comment je l’utilise, qu’est-ce que j’offre en retour et comment est-ce que j’exprime mon appréciation et vis pleinement cette vie qui est merveilleuse et impermanente ? »
Dans Esprit zen, Esprit neuf, Susuki Roshi raconte l’histoire de quatre chevaux. Le premier commence à courir simplement en voyant l’ombre de la cravache, avant qu’elle ne le touche. Un autre commence à courir après que la cravache l’ait juste effleuré. Le troisième commence à courir quand il sent la douleur du coup de cravache sur sa peau. Et le quatrième ne s’y met réellement que quand il sent la cravache jusque dans la moelle de ses os.
Quelle est cette cravache ? la cravache est cette évanescence de la vie, juste cet enseignement de l’impermanence. L’un des enseignements du Bouddha les plus importants est de garder à l’esprit l’impermanence et de voir que c’est simplement comme cela que sont les choses – toute chose, à tout moment, partout. Il y a un chant Pali qui exprime cela :
Toutes les choses sont impermanentes
Elles apparaissent et disparaissent
Vivre en harmonie avec cette vérité
apporte un grand bonheur.
Si vous voyez comment sont les choses, « les choses telles qu’elle sont » comme Suzuki Roshi avait l’habitude de dire, vous voyez qu’elles apparaissent et qu’elles disparaissent. Le truc, c’est de vivre en harmonie avec la façon dont les choses sont vraiment; notre souffrance vient de vouloir que les choses soient différentes de ce qu’elles sont.
Je ne sais pas pourquoi celles d’entre vous qui viennent aujourd’hui pour la première fois sont venues. Pourquoi êtes-vous venues à un centre bouddhiste ? Pourquoi est-ce que chacune d’entre vous est ici ? La raison pour laquelle je suis ici est que j’ai commencé à constater que toutes les choses sont impermanentes, inclus moi-même. Je suis venue à cette pratique la première fois que j’ai failli mourir. La seconde fois où j’ai failli mourir, j’ai vraiment réalisé à quel point c’est une joie d’être en vie.
Peut-être que c’est comme le quatrième cheval. Je ne l’avais pas réalisé jusqu’à ce que cela m’atteigne dans la moelle des os. Mais peut-être que ce n’est pas si mal d’être le quatrième cheval parce que, quand cela vous touche dans la moelle de l’os, vous l’avez vécu encore et encore. Vous ne pensez pas : « bon, peut-être que certaines choses sont impermanentes, peut-être, mais pas moi. Peut-être que je vais vivre pour toujours, ou peut-être que ceux que j’aime vont vivre pour toujours, ou peut-être que l’impermanence n’est pas vraiment vraie. »
Alors, on peut peut-être essayer de marchander avec l’impermanence ou entrer dans le déni à son propos. Mais, d’une façon ou d’une autre, si nous sommes chanceuses, nous en venons à comprendre « les choses telles qu’elles sont » et ça, c’est vraiment la vie que nous vivons. Alors la question de la façon dont nous la vivons devient réellement urgente pour nous. Elle ne va pas durer toujours ; j’ai juste une quantité limitée de temps à vivre d’une façon que je trouve satisfaisante pour moi, que je sente juste, qui soit en accord avec la façon dont les choses sont. « Vivre en harmonie avec cette vérité apporte un grand bonheur » dit le chant Pali.
Quand je suis venue pour la première fois au centre Zen, j’ai entendu Susuki Roshi dire : « simplement être vivant est suffisant ». Cela m’est passé au dessus de la tête, et il se peut qu’il en soit de même pour vous. Je le dis simplement pour que vous puissiez y jeter un coup d’oeil et décider quel sens cela a pour vous. Mais je pense vraiment que nous commençons à approfondir la pratique du Zen ou tout autre sorte de discipline religieuse quand nous commençons à nous confronter à certaines difficultés dans la vie et que la question de savoir comment vivre avec ces difficultés devient une vraie question pour nous. Ou nous pouvons constater que la façon dont nous vivons ne nous semble pas juste. Ou que les idées fixes familières que nous avons ne semblent plus tenir quand on y regarde de plus près.
Le chant que nous entonnons au début de la causerie dit :
Un Dharma insurpassé, pénétrant et parfait
se rencontre rarement, même dans cent millions de kalpas
L’ayant rencontré et écouté, m’en étant rappelé et l’ayant accepté
Je fais le voeu de goûter la vérité des mots du Tathagatha.
Remarquez qu’il ne dit pas qu’un Dharma insurpassé, pénétrant et parfait est rare. C’est juste la vérité des choses telles qu’elles sont et c’est toujours en face de vous à tout moment de votre vie. C’est là ici, nulle part ailleurs.
Le chant se termine par : « Je fais le voeu de goûter la vérité des mots du Tathagatha ». C’est le voeu de goûter la vérité des choses telles qu’elles sont réellement, un voeu de voir directement. Goûter est un sens très intime — vous sentez directement sur votre langue, ici dans votre corps. C’est ce que mon attaque cardiaque a été pour moi; je l’ai sentie de façon proche et personnelle. Et chacune d’entre vous a des expériences dans sa propre vie où les choses telles qu’elles sont sont goûtées directement, personnellement, en soi-même. Et cela change notre vie. Nous regardons notre vie et nous nous disons : « cette vie n’est pas en harmonie avec la façon dont les choses sont. c’est pourquoi je suis toujours inconfortable. Comment puis-je me mettre en harmonie avec la réalité de cette vie ? »
L’enseignant Zen Kobun Chino dit une fois dans une causerie de sesshin que quand vous réalisez combien votre vie est précieuse et que la façon dont vous la manifestez et dont vous la vivez est complètement de votre responsabilité, que c’est une telle responsabilité et que si on le réalise vraiment, on doit s’asseoir pendant un moment ! (c’est-à-dire faire zazen) Il a ajouté : « Ce n’est pas une action délibérée, c’est une action naturelle. »
Juste s’asseoir
Certaines d’entre vous viennent ici pour des instructions sur la méditation, pour des directives pour zazen, pour apprendre comment juste s’asseoir. Pourquoi avez-vous besoin de directives pour simplement s’asseoir ?
Un jeune danois merveilleux est venu à Tassajara (l’un des lieux rattachés au San Francisco Zen center) dans les débuts. Il se présenta à la porte et dit : « Je veux entrer et devenir un moine Zen. » la personne à qui il s’adressait lui demanda, « vous êtes vous déjà assis ? » (c’est-à-dire fait zazen). L’anglais n’était pas sa langue maternelle, il considéra la question avec étonnement et perplexité. Finalement il se redressa de toute sa hauteur et dit : « tout le monde s’assoie » !
Alors, pourquoi avez-vous besoin de directives pour juste vous asseoir ? en fait, juste s’asseoir ne signifie pas simplement s’asseoir. Cela signifie s’asseoir complètement ; ne rien faire d’autre, juste s’asseoir. Vous pouvez avoir remarqué que, quand vous vous asseyez avec l’intention de juste vous asseoir, il se passe des tas de choses ! Nous ne remarquons pas vraiment à quel point notre mental est actif jusqu’à ce que nous nous asseyons avec l’intention de ne pas penser délibérément. Même si nous ne pensons pas délibérément, beaucoup de pensées surgissent ! Je n’ai aucune idée de la façon dont mon mental est constamment actif jusqu’à ce que je m’assoie avec l’intention de rester tranquille et ne ne pas m’accrocher aux pensées qui surgissent.
Aussi l’une des raisons pour lesquelles nous avons besoin de directives sur la façon dont juste s’asseoir est que nous avons besoin de savoir ce qui peut nous aider à lâcher tout cette activité mentale, sans s’en saisir. Quelque chose comme faire attention à la posture et porter l’attention sur la respiration. Porter l’attention sur ce qui se passe ici et maintenant, dans ce corps physique, quelles que soient les sensations, et la respiration.
La plupart des pensées qui se déroulent dans notre mental ne concernent pas ce qui se passe ici et maintenant. Vérifiez-le et vous verrez : la plupart des choses qui vous traversent l’esprit concernent le passé ou le futur. Se faire du souci pour le futur et regretter ou ressasser le passé sans arrêt. Et revenir sur qui blâmer pour nos difficultés. Cela prend longtemps de réaliser qu’il n’y a personne à blâmer et vouloir simplement être là.
J’étais invitée récemment à participer à un groupe de discussion spirituel. Mon amie me dit que le groupe voulait aborder la question de ce que nous faisons dans des situations où il y a une perte sérieuse, quand les choses ne seront plus jamais les mêmes. Quelqu’un que vous connaissez et aimez et qui meurt ; vous avez une grave maladie ou un accident. Quelque chose s’est produit qui est ressenti comme une perte terrible qui ne peut être surmontée. Comment travailler avec cette situation ?
Certains des participants avaient connu des pertes qu’ils voulaient rapporter à la discussion, mais la question portait en réalité sur la façon dont nos vies se déroulaient après cette perte et comment arriver à vivre avec calme et sérénité. L’une des personnes dit « Les choses vont assez bien pour moi à présent, mais j’ai juste remarqué que, même quand tout va bien, j’ai une sorte de malaise soucieux, pas à propos de quelque chose en particulier, et ça parait bizarre quand tout va bien. »
L’enseignement qu’il y a de la souffrance au coeur de la joie était là, dans ce qu’elle disait — le malaise soucieux que, bien que tout aille bien maintenant, quelque chose peut arriver, qui ne sera pas bien. Avez-vous déjà eu cette sorte d’expérience ? c’est une expérience humaine très commune.
Nous avons toutes sortes de façons d’imaginer le futur qui nous empêche de vraiment vivre dans le présent. Ce qu’est simplement s’asseoir, ce qu’est zazen, c’est de vivre dans le présent, pour que nous puissions véritablement manifester cette vie précieuse d’une façon que l’on sente juste, une façon qui soit en accord avec notre compréhension intérieure du Dharma, de la Vérité.
À propos du précepte : « je fais le voeu de ne pas déprécier les Trois Trésors (Bouddha, Dharma, Sangha) », Dogen Zenji, le fondateur du Zen Soto, dit » Exposer le dharma avec ce corps est la chose la plus importante. Sa vertu retourne à l’océan de la Réalité. Elle est insondable. Nous l’acceptons avec respect et gratitude. » Elle est insondable. La réalité inconcevable est inconcevable. Mais nous essayons encore de trouver une façon de la saisir.
Dans une causerie au San Francisco Zen Center, Stephen Batchelor parlait de la volonté de vivre dans la perplexité, de vivre dans le domaine du non savoir. C’est assez difficile. Nous pouvons exposer le dharma avec ce corps, nous pouvons vivre la vérité, nous ne pouvons la saisir. Nous pouvons sentir dans notre corps quand nous ne sommes plus en accord avec elle. c’est pourquoi Kobun Chino dit que c’est une telle responsabilité que naturellement, une personne s’assoie un moment. Nous voulons nous accorder à notre corps et notre esprit de sorte à remarquer quand nous ne sommes plus en accord avec notre intention la plus profonde. Nous voulons cultiver ce savoir intime, sans mots ni idées — une intimité avec soi-même — pour que nous puissions dire si nous vivons notre vie de la façon dont nous le voulons réellement ou si nous sommes « en dehors ».
Nous pouvons faire cela simplement en nous ajustant à nous mêmes, à notre nature fondamentale, qui est ce qu’on appelle parfois notre nature-de-Bouddha. La Nature de Bouddha n’est pas quelque chose de mystérieux ou d’ésotérique. Bouddha signifie juste éveillé: quelqu’un qui est éveillé. Nous découvrons comment être éveillé et comment être fidèles à notre intention, avec notre être vrai, avec la sagesse et la compassion déjà inhérentes à tous les êtres, inclus nous-mêmes.
Source : Buddhadharma 2001 Traduction Bouddhisme au féminin