La disparition à l’âge de 100 ans de la peintre de la bouche Denise Legrix laisse un grand vide. Les hommages sont unanimes. Le 25 août 2010 s’éteignait à l’âge de 100 ans, à son domicile de Lisieux, Denise Legrix, peintre de la bouche.
Elle laisse derrière elle une oeuvre importante constituée de plus de 8 000 tableaux (aquarelles et huiles) à l’inspiration impressionniste, de quatre livres, une association et de très nombreux témoignages de sympathie et de reconnaissance. Artiste-peintre sensible et passionnée, Denise Legrix était aussi une femme de caractère et de coeur. Elle peignait et écrivait avec sa bouche. Le titre de son dernier livre, « Ma joie de vivre », récapitule toute sa vie. Née sans bras ni jambes, elle a toujours su témoigner et prouver « qu’avec peu, on peut réaliser beaucoup! »
Denise Legris est un petit bout de femme étonnante. Rien ne la prédestinait à vivre, ou du moins à vivre dans la joie : elle est née sans bras ni jambes… Pourtant elle a vécu plus de 100 ans (1910-2010), le sourire aux lèvres et un désir constant chevillé à ce qu’elle avait de corps: faire partager sa joie de vivre aux autres et leur permettre de croire que, quels que soient nos handicaps ou nos limites personnelles, nous possédons en nous des capacités insoupçonnées.
Une magnifique philosophie de vie
Denise est née le 16 mai 1910 dans une petite ferme du Calvados dont ses parents, pauvres mais travailleurs, n’étaient que les métayers. Elle leur voue une admiration totale pour l’amour dont ils ont su sans cesse l’entourer. C’est cet amour inconditionnel, assure-t-elle, qui lui a permis de développer sa souplesse d’adaptation à tous les détails de sa vie quotidienne.
La proximité de la nature, la condition paysanne souvent difficile imprègnent la jeune Denise d’images simples, du sens de l’effort et d’une volonté solide. Intelligente, fine, rien ne lui échappe. Galvanisée par les exemples de la rude vie quotidienne de la ferme et soutenue par sa famille, elle acquiert une magnifique philosophie de vie qui est à la source de sa joie de vivre : accepter les situations les plus terribles et apprendre à les sublimer, découvrir tout ce qui peut en être tiré de bon et de positif.
Elle répétait souvent : « Le bonheur n’est pas de recevoir, mais de donner, ne consiste pas dans le gain, le faste, la volupté, mais dans le déroulement de petites joies acquises dans la paix du cœur. »
Dotée d’une volonté hors du commun et entourée de l’affection des siens, elle développe, dès sa jeunesse, des techniques pour surmonter son handicap et gagner en autonomie. Elle apprend à maîtriser son corps déficient : pour manger, elle fait pivoter sa fourchette sur son moignon gauche par de légères contractions musculaires.
Pour se déplacer, assise sur une chaise sans fixation, elle lui imprime un faible balancement pour la faire pivoter sur un pied et avancer les trois autres, puis pivoter sur un autre et ainsi de suite jusqu’à destination… Elle acquiert ainsi une parfaite maîtrise du centre de gravité de chaque partie de son corps.
Avec de très courts moignons, sans prothèses, sans fauteuil roulant, sans équipement spécial – on n’est pas riche dans la famille – elle arrive à manger et à boire seule, à se maquiller, à se brosser les dents et à se coiffer elle-même. « Rien n’est plus étonnant, dans son corps diminué, que l’explosion de cette volonté impétueuse », entend-on dire par ceux qui la connaissent.
Cette force de vie jaillissante va s’exprimer dans des apprentissages techniques invraisemblables. A force de petits actes de volonté répétés chaque jour avec constance, elle va apprendre à dessiner, peindre et écrire en ne guidant le porte-plume ou le pinceau qu’avec ses lèvres. Elle parviendra à s’affranchir, sans jambes ni bras, des distances et des obstacles. Elle parviendra à téléphoner et se déplacer seule, à parcourir la France et même le monde…
Denise ne se contente pas de vivre ces victoires comme de simples défis. C’est pour elle une façon d’exprimer son désir de vivre et de témoigner de la richesse de toute vie, même dans un corps meurtri : « j’ai vécu comme les autres… et, j’oserais dire, pour les autres. »
Elle ne reste pas tournée sur elle-même, mais veut que sa vie soit aussi utile aux autres. Elle est demandée partout pour des conférences sur le droit de vivre avec un handicap. Elle invente et promeut une « Opération Espoir » qui permet de collecter 4 millions de francs en faveur de l’enfance handicapée.
S’impliquant toujours avec modestie, elle désire aider d’autres handicapés en leur enseignant ses techniques, en les aidant à développer des outils, en rassurant les parents… Combien de personnes touchées par un handicap physique lui doivent d’avoir pu rendre leur vie utile et heureuse.
En 1970, elle fonde sa propre Association pour dysméliques (difformité des membres) et écrit 3 livres. L’un d’eux, « Née comme ça », publié en 1960 et préfacé par le Dr André Soubiran, lui a valu de se faire connaître internationalement.
Denise Legrix obtient plusieurs prix, devient Officier de la Légion d’honneur et reçoit la médaille du Mérite National. Elle partage son existence entre deux activités essentielles pour elles : le témoignage de sa joie de vivre et la peinture. « Le grand secret de l’être humain sur la terre où nous vivons, dit-elle, n’est-ce pas de découvrir en nous-mêmes, envers et contre tout, les pépites d’or de l’humain afin de pouvoir partager ce trésor souterrain avec les autres. »
Son témoignage de vie est exemplaire, puissant et débarrassé de toute sensiblerie. C’est une invitation à découvrir en soi des richesses insoupçonnées, à les partager avec les autres, à aller de l’avant et à profiter à chaque petit instant de bonheur. Sa vie passionnante et son témoignage dérangeant furent un déclic et un souffle déterminant offerts à tous ses frères les handicapés, surtout à ceux qui doutent, qui hésitent, qui sont découragés et qui vivent dans l’attente d’une lueur d’espérance….
Denise Legrix, est le témoignage vivant de la valeur de toute personne humaine. A travers tant de difficultés et d’honneurs, elle a su maintenir le cap qu’elle s’était fixé : être porteuse d’un espoir immense pour de nombreuses personnes.
« Née privée de bras et de jambes, dit-elle, je ne suis peut-être qu’une partie de l’humain. Mais qu’importe si cette partie précisément est porteuse d’âme. Qu’importe si ce petit corps peut faire plus, grâce à ce manque, qu’il n’aurait fait dans sa plénitude matérielle. »
« Le bonheur consiste dans le déroulement de petites joies acquises dans la paix du cœur. »
Denise a signé de nombreuses toiles qui ont été exposées et achetées par des amateurs, des professionnels et des musées. La vie, la couleur, la joie paisible s’épanouissent sous son pinceau. Elle s’exprime sans le moindre complexe : « l’essentiel de ma vie c’est de peindre, dit-elle. Que ce soit avec ma bouche, quelle importance ? Ce qui compte c’est le résultat. »
Les œuvres de Denise sont autant de confidences, de sourires et de mercis à la vie….
Source : Réussir ma Vie