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Le premier monastère de Bikkhunis en Grande Bretagne

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L’établissement de bikkhunis en Grande Bretagne est à replacer dans le contexte de ce qui s’est produit en 2010 lorsque Ajahn Brahm (moine anglais installé en Australie) a procédé à l’ordination complète de plusieurs nonnes selon la procédure du vinaya dans la tradition Théravada. Il s’est attiré les foudres des moines de Thaïlande, de la lignée des moines de la forêt à laquelle il se rattachait, et s’est vu « excommunié » devant son refus d’annuler l’ordination voir l’article paru sur cette question dans le magazine

Relire aussi l’article sur la place des nonnes dans le Théravada

L’instauration d’un monastère de bikkhunis en Grande Bretagne est donc très symbolique de l’affirmation des nonnes désormais pleinement ordonnées (mais non reconnues en Thaïlande) d’être des membres à part entière de la sangha, au même titre que les moines.

Anukampa Bhikkhuni Project : Le premier monastère de bikkhunis  Théravada en Angleterre

par Paul Michael Burton  – Buddhistdoor Global | 2016-08-05 |
Octobre de cette année 2016 verra les premières étapes en vue de l’instauration du premier monastère de bikkhunis en Angleterre. Ajahn Brahmavamso Mahathera (plus connu sous le nom de Ajahn Brahm), d’origine anglaise, qui est l’abbé du Bodhinyana Monastery en Australie, a généreusement prêté son concours au Projet Anukampa Bikkhuni et à la coordinatrice du projet, la nonne britannique, la Vénérable Canda. Il fera pour cela une tournée d’enseignements intitulée : « Le bouddhisme au 21ème siècle ».
Le Anukampa Bikkhuni Project (anukampa signifie « compassion empathique ») vise à aider les personnes à croître dans le Dhamma et à nourrir les qualités spirituelles telles que le contentement, la compassion, la sagesse et la paix. Il s’agit à la fois d’établir une communauté de pratiquant(e)s souhaitant mettre en oeuvre dans le même esprit les enseignements du Bouddha, d’établir la présence de bikkhunis en Grande Bretagne en répondant à des invitations pour enseigner et à des offres de support, et en premier lieu, de fonder et de développer un monastère harmonieux offrant la possibilité à des bikkhunis de se vouer à atteindre l’éveil.

La tournée d’enseignements projetée par Ajahn Brahm qui est aussi le conseiller spirituel du projet, aura pour objet une première collecte de fonds importante en vue de la réalisation de ces objectifs, ce sera une occasion rare d’entendre les enseignements de Ajahn Brahm dans son pays natal et d’aider à l’établissement de la présence de bikkhunis en Grande Bretagne.

 

Venerable Candā on almsround
La Venerable Canda pendant la tournée d’aumônes du matin. Image courtesy of Anukampa Bhikkhuni Project

 

Ressuciter et renforcer une ancienne lignée

L’histoire de l’ordination des femmes dans le Bouddhisme remonte à l’époque du Bouddha lui-même, qui fonda l’ordre des bikkhunis quand il ordonna sa propre tante maternelle et belle-mère, Mahapajapati Gotami. Dès les premiers temps de l’apostolat du Bouddha, les bikkhunis jouèrent un rôle important en  diffusant les enseignements et en formant la sangha monastique. Non seulement il y avait une parité relative entre les statuts temporels des bikkhus et des bikkhunis, mais le Bouddha déclara également que les femmes étaient tout aussi capables que les hommes d’atteindre l’éveil. À une époque où les femmes  se voyaient dire qu’elles devaient renaitre en tant qu’homme dans leur prochaine vie pour progresser spirituellement, l’affirmation du Bouddha que le chemin de l’éveil spirituel était ouvert et disponible aux femmes ici et maintenant était révolutionnaire.
Toutefois, selon des documents historiques, les différentes sanghas de bikkhunis des bouddhistes Théravada en vinrent à disparaitre à différentes époques. Ceci peut être regardé non seulement comme un échec pour les aspirations spirituelles des nonnes bouddhistes, mais aussi comme un empêchement pour la continuation future du Dharma. Le Bouddha déclara en effet que la longévité du Dharma reposait sur une communauté interdépendante de bhikkunis, de bhikkus, de laïques et de laïcs, connue sous le nom de la communauté quadruple. Il est intéressant de noter que la sangha des bikkhuni en Birmanie (Myanmar) pourrait avoir existé jusqu’au 19ème siècle. Si cela peut être confirmé par des données historiques, il peut y avoir moins de distance qu’on ne le pense généralement entre la sangha actuelle de bikkhunis et ses homologues plus anciennes. (voir les recherches sur ce sujet ici)
En réponse aux questions qui lui sont fréquemment posées sur la raison pour laquelle l’ordination des bikkhunis est importante, le moine australien Bhante Sujato souligne que les bikkhunis s’engagent sur un chemin de formation qui est prévu dans ses moindres détails pour aider à la vie sainte. Elles sont nourries et aidées de savoir qu’elles sont pleinement entrées dans la sangha et qu’elles pratiquent dans la même communauté que les arahants (mot pali qui signifie celles et ceux qui ont atteint le but, le nirvana) du passé. Il souligne aussi la nécessité de reconnaitre que le principe de l’égalité pour toutes et tous est basé sur les mêmes valeurs éthiques qui sont au coeur d’un véritable bouddhisme : l’amour bienveillant et la compassion.
En 1996, grâce aux efforts de Sakyadhita (Association Internationale de Femmes Bouddhistes), l’ordre des bikkhunis du Theravada fut ressuscité quand onze nonnes du Sri Lanka reçurent l’ordination complète à Sarnath, en Inde. La cérémonie eut lieu avec le concours du Ven. Dodangoda Revata Mahathera et du défunt Ven. Mapalagama Vipulasara Mahathera, avec l’assistance des moines et des nonnes coréennes du Jogye Order of Korean Seon Buddhism. La première ordination de bikkhuni en Australie se déroula à Perth le 22 octobre 2009 au Bodhinyana Monastery. Quatre nonnes du monastère de nonnes Dhammasara de l’Australie occidentale — Ajahn Vayama, Ayya Nirodha, Ayya Seri et Ayya Hasapanna — furent ordonnées comme bhikkhunis selon les prescriptions du Vinaya pali (la règle reconnue dans les pays Théravada).

En dépit du fait que les ordinations s’étaient déroulée strictement selon les règles du Vinaya, elles furent controversées et rencontrèrent une vive résistance parmi les éléments les plus conservateurs de la sangha monastique (de Thaïlande), mettant en lumière combien il reste de chemin à faire avant que l’égalité que le Bouddha s’employa à établir pour les monastiques féminines devienne une réalité vivante aujourd’hui.

Le chemin de 18 années de la Vénérable Canda vers l’ordination complète

Il existe désormais de nombreux monastères pour les moines à travers le monde, mais très peu pour les nonnes et encore moins pour celles qui souhaitent s’engager jusqu’à l’ordination complète de Bikkhuni, une perspective qui a joué un grand rôle dans la  motivation de la Vénérable Canda. Son histoire personnelle témoigne de la difficulté de la situation pour les femmes souhaitant renoncer à la vie profane pour suivre, comme les moines, les lignes directrices établies par le Bouddha pour les monastiques.

Lors de son premier contact avec les enseignements du Bouddha en 1996 en Inde, la Vénérable Canda, alors Lucie Stephens, fut si profondément touchée qu’elle prit la résolution de dévouer le reste de sa vie à cette voie. Au cours des sept années qui  suivirent, elle s’adonna à la méditation et à l’aide bénévole apportée pendant les retraites, principalement en Inde et au Népal, travaillant en même temps pour subvenir à ses besoins. Tandis qu’elle constatait les changements intérieurs survenus en elle, un contentement plus profond, davantage d’équanimité et une fascination grandissante pour le processus de méditation en lui même, son aspiration à renoncer à la vie laïque grandissait. Toutefois, les opportunités d’ordination pour les femmes étaient si rares qu’elle ne parvint pas à trouver un monastère pour l’accueillir. Découragée, mais non résignée, elle retourna en Angleterre pour y obtenir un diplôme en médecine ayurvédique.

Ironie du sort, pendant qu’elle préparait son diplôme en Angleterre, Lucie entendit parler d’un monastère rural en Birmanie (Myanmar) qui offrait la possibilité pour les femmes d’être ordonnées en tant que nonnes birmanes novices (suivant seulement 8 préceptes, appelées en birman des thilashin). Après avoir reçue cette ordination temporaire au Myanmar, Lucie fut tentée de rester, mais elle se sentait tenue de poursuivre ce dans quoi elle s’était engagée et retourna au Royaume-Uni pour y terminer ses études. Après avoir obtenu son diplôme, elle prit une ordination définitive en 2006 (mais toujours en tant que novice) et passa les quatre années suivantes à poursuivre la méditation intensive sous la direction de Sayadaw U Pannyajota. Elle rencontra également la tradition des moines de la forêt en Thaïlande avec Ajahn Maha Bua, auprès de qui elle passa six semaines inspirantes. La Thaïlande était politiquement plus stable que la Birmanie, mais les conditions monastiques pour les femmes étaient difficiles et les visas monastiques extrêmement difficiles à obtenir pour les nonnes, dont le statut monastique n’est pas reconnu par la loi thaïlandaise.

Au cours de ces années, elle se sentit de plus en plus attirée par la pratique  de samatha (développement des états d’absorption, en pali jahnas) comme un moyen de développer des aperçus illuminatifs plus profonds. En 2010, le style de vie ascétique, le climat et le régime alimentaire au Myanmar ayant exercé des ravages sur sa santé, elle fut contrainte de revenir en Occident. Ce retour coïncida avec la découverte des enseignements de Ajahn Brahm. Son insistance sur l’amour, la bonté, et le lâcher prise comme des moyens vers les jahnas et les aperçus illuminatifs résonna si profondément et immédiatement que la Vénérable Canda sentit que suivre un entrainement avec lui était son nouvel objectif. L’ordination de Bhikkhuni semblait encore hors de portée et elle n’y pensait même pas jusqu’à ce qu’elle le rencontre une seconde fois.

Venerable Candā with Ajahn Brahm following her Bhikkhunī ordination on April 27th 2014
La Ven. Canda avec Ajahn Brahm après son ordination en tant que Bikhuni le 27 Avril 2014. Image courtesy of the Anukampa Bhikkhuni Project.

«Je vivais comme une nonne novice depuis cinq ans, quand Ajahn Brahm m’a parlé d’un ton neutre des bhikkhunis pratiquant à Perth. Une vague de joie inspirée m’a balayée et je savais instantanément dans mon cœur: si j’ai la chance d’avoir l’ordination complète, je la prendrai !  » En conséquence, après deux années passées en Europe comme nonne itinérante, la Vénérable Canda eut enfin l’occasion de se rendre en Australie, où elle vit depuis 2012. Elle a rejoint la communauté Dhammasara à Perth et a pris l’ordination complète de bhikkhuni en Avril 2014, avec Ayya Santini comme préceptrice. En Octobre 2015, Ajahn Brahm demanda à la Vénérable Canda d’étudier les mesures à prendre en vue d’établir un monastère de bikkhunis au Royaume-Uni afin d’accroître l’égalité des chances dans la pratique et les opportunités d’ordination pour les femmes, le Anukampa Bhikkhuni Project était né.

La Vénérable Canda a récemment entrepris différentes actions de sensibilisation au projet afin de trouver une communauté de donateurs sur place. Elle a eu aussi l’opportunité de visiter les États-Unis (parrainée par l’Alliance for Bikkhunis basée en Californie ). Elle a trouvé  incroyablement inspirant de rencontrer d’autres bhikkhunis qui ont établi avec succès des communautés joyeuses et harmonieuses de pratiquant(e)s sincères. Elle a été ravie quand Ayya Anadabodhi et Ayya Santacitta du monastère Vihara Aloka en Californie ont accepté d’être les conseillères du Anukampa Bhikkhuni Project.

En juin de cette année, la Vénérable Canda a entrepris un pèlerinage à pied de Bakewell dans son comté natal de Derbyshire à la ville de Manchester. Accompagnée de l’ex-nonne bouddhiste Laura Bridgeman, elles ont parcouru les chemins sur les collines verdoyantes, et souvent humides, du parc national de Peak District, dormant dans la nature et faisant confiance à la bonté humaine et à la compassion tout au long du chemin. Elles ont rencontrées ces qualités en abondance tandis que l’aide leur arrivait tout au long du voyage, qui a culminé par une conférence très suivie sur le thème pertinent de la compassion au Centre Manchester de méditation bouddhiste, où elles ont été chaleureusement accueillies par les membres les plus engagés dans la longue tradition de samatha. C’est dans la tradition samatha que Ajahn Brahm avait entrepris sa première retraite de méditation dans les années 1970, il y avait donc un élément supplémentaire de profonde gratitude de la part de la Vénérable Canda pour renouer des connexions établies longtemps auparavant. Non seulement la conférence a donné lieu à des échanges très vivants, mais trois nouvelles bénévoles se sont présentées pour apporter leur énergie et leurs compétences au projet.

L’emplacement éventuel du futur monastère dépendra beaucoup de là où trouver le plus d’intérêt et de soutien. En ce sens, Anukampa Bhikkhuni Project est entre les mains des donatrices/donateurs autant que des organisateurs. Selon la loi, les organisations doivent parvenir à récolter 5000£ avant de pouvoir être enregistrées comme organismes de bienfaisance. Anukampa espère se rapprocher de cet objectif grâce à la prochaine tournée d’Ajahn Brahm. Comme c’est une occasion rare et précieuse d’avoir Ajahn Brahm au Royaume-Uni pour des conférences publiques et des retraites, un calendrier riche en événements a été prévu pour sa visite, y compris des enseignements sur les thèmes du pardon, du contentement et du lâcher-prise, sur l’amitié et la communauté spirituelle, sur la façon d’apprivoiser la peur intérieure, sur la mort et la renaissance. Il y aura aussi deux retraites de deux jours dans le centre et l’ouest de Londres.

Celles et ceux qui souhaitent bénéficier des enseignements et apporter leur aide à la sangha bhikkhuni en Angleterre sont invité(e)s à visiter notre site Web ci-dessous. Vous êtes également invités à suivre les progrès et les activités du projet Bhikkhuni Anukampa sur Facebook.

Que tous les êtres trouvent la liberté de la souffrance et la paix intérieure inébranlable!

Anukampa Bhikkhuni Project

Anukampa Bhikkhuni Project (Facebook)

Edité par la Ven. Canda et Alison French –

Source Buddhist door – Traduction Bouddhisme au féminin