par Marie-France Garaude-Pasty
Le Tibet peuple envahi, opprimé, continue de voir son peuple prendre le chemin de l’exil. Les femmes tibétaines, dans des conditions de vie difficiles, précaires souvent, ont su développer leurs qualités, faire preuve de détermination et garder toujours leur foi en le Dharma et leur confiance en leur chef spirituel Sa Sainteté le Dalaï-Lama.
Le chemin jusqu’en Orissa, cette région de l’Inde encore bien peu touristique malgré une façade sur le Golfe du Bengale, depuis Calcutta ou New Delhi permet de prendre la mesure de tout ce qui a pu la rendre si différente et étrangère aux regards des premiers réfugiés tibétains qui furent accueillis par le gouvernement indien. Différence des paysages, du climat, des coutumes, de la religion.
Arriver dans les cinq camps tibétains regroupés en villages est un dépaysement total. C’est ici que j’ai rencontré réellement les réfugiés tibétains et, vivant avec eux, j’ai été confrontée non plus à des images abstraites mais à leur réalité quotidienne.
Je suis engagée dans la voie Bouddhiste depuis bientôt vingt ans et j’ai pu prendre conscience de la distance qui existait entre mon approche, par certains côtés très intellectuelle même si la pratique et la méditation y trouvent leur place et cette façon naturelle, spontanée qu’ont les tibétaines d’intégrer les enseignement du Bouddha Sakyamuni aux actes les plus simples et les plus élémentaires de leur quotidien. Ici nulle surenchère, nulle recherche effrénée d’atteindre un état ultime. Les laïcs, hommes ou femmes, pratiquent peu et se retrouvent dans les monastères principalement au moment des grandes célébrations et des jours auspicieux. Plus simplement, hommes et femmes développent la confiance dans le maître, dans les enseignements, dans les récits de vies exemplaires. Nous dirions selon notre tradition chrétienne qu’il s’agit là de la foi et de la dévotion.
La femme tibétaine n’a pas généralement à se battre pour revendiquer sa place au sein de la famille et de la société. Sa situation particulière au sein de la communauté tibétaine exilée en fait l’un des piliers essentiel de la famille. Les tibétaines sont courageuses et toutes celles que j’ai eu la chance de rencontrer ont fait preuve d’une grande détermination pour affronter les obstacles que la vie que leur karma à mis sur leur chemin.
En Orissa ce ne sont pas moins de quatre mille personnes qui vivent depuis les premiers temps de la fuite hors du Tibet jusqu’à aujourd’hui. Les villages ont pour identification « Camp » ce qui n’offre aucune échappatoire au statut de ceux et celles qui y vivent. Dans cette région agricole, au climat difficile porteur en particulier de la malaria, les tibétains se sont adaptés et la vie s’y déroule apparemment comme dans n’importe quel autre village indien….
Et pourtant ce sont les «Lung Ta », les chevaux du vent, ces drapeaux de prières qui marquent l’entrée du camp, dispersant au vent les souhaits bénéfiques des prières imprimées sur les carrés de tissus colorés. Puis on peut apercevoir un « stoupa », monument symbolique du Dharma, autour duquel les circumambulations font partie d’un rituel auquel personne ou presque ne se soustrait. Le soleil disparaît peu à peu derrière les hautes collines, la lumière se fait plus douce. La journée de travail terminée, les femmes souvent accompagnées de leurs plus jeunes enfants viennent se prosterner et tourner en récitant leurs mantras, inspirées par une confiance et une dévotion extrême envers leur maître.
Puis c’est le monastère, les moines qui rythment l’écoulement des jours. Quotidien qui n’a rien de banal puisqu’il permet à chacun de participer à cette activité ininterrompue, sans cesse renouvelée de maintenir présent dans les actes les plus simples la présence de Dharma.
Le doute n’assaille pas ceux et celles qui vivent en ces lieux. Les femmes quant à elles sont là et c’est là qu’elles doivent accepter de vivre ce résultat de leurs vies passées. Certaines déjà âgées, parfois veuves ou seules s’occupent de leur maison, des enfants, entretiennent un petit coin de terre, peu travaillent car en dehors de celui de la terre il n’y a guère d’opportunité si ce n’est celle de tenir une petite échoppe mais elles sont rares.
Mais toutes gardent présent au cœur le souvenir de leur pays, de ce Tibet pays autrefois isolé au cœur des ces montagnes du toit du monde. Certaines ont encore de la famille là-bas. Elles gardent au fond du cœur une foi inextinguible en le Bouddha et Tenzin Gyamtso, Sa Sainteté le Dalaï-Lama, incarnation de Chenrézi, symbole oh combien présent et puissant de l’Amour et de la Compassion !
Rien de ce qui a pu les contraindre à fuir l’oppression n’a pu détruire cette certitude inscrite à l’intime d’elles-mêmes que leur vie ici et maintenant n’est qu’une partie d’un cycle, le Samsara, auquel elles ne sauraient aujourd’hui échapper si ce n’est en développant la foi et la dévotion.
Au cours de mon séjour j’ai rencontré, en particulier une femme, présidente de l’association Tibetan Women’s Association dont le bureau central se trouve à Dharamsala. Elle m’a dit comment cette association avait vu le jour en 1959 quand quelques centaines de femmes s’étaient réunies à Lhassa pour protester contre l’occupation illégale du Tibet par la Chine avec les conséquences terribles que l’on connaît : les arrestations, l’emprisonnement, les tortures et pour beaucoup la mort.
Aujourd’hui ces femmes se sont regroupées dans chaque camp ; elles qui ont si peu pour ne pas dire rien, donnent chaque mois une obole qui sera envoyée à la direction et utilisée pour le bien commun. Ces femmes aujourd’hui entendent se battre pour la liberté de leur pays en menant de là où elles sont des actions en faveur du Tibet libre. Elles parlent de leurs actions à venir en faveur de leur pays et, pour qu’on n’oublie pas leur existence et leur combat pour la liberté et une vie meilleure, elles mettent leurs forces en commun avec d’autres tibétaines exilées, dispersées partout dans le monde.
Grâce à l’aide financière de donateurs étrangers, elles ont pu construire dans l’un de ces camps une salle, bien modeste, où elles peuvent se réunir. Elles m’y ont accueillie avec une telle chaleur et humilité que j’en ai été profondément touchée. Nous avons évoqué ensemble leur lutte, leur quotidien, pas de plaintes, pas de misérabilisme. Elles sont actives, dynamiques et confiantes. Mais ceci n’exclut pas qu’elles puissent avoir besoin de notre aide. Une fois notre petite réunion terminée, le thé bu, elles ont voulu me montrer le lieu où dehors à même le sol, sur des pierres, elles faisaient la cuisine… nous avons souri, je leur ai fait remarquer que cela ne devait pas être très pratique et, dans un sourire, elles m’ont dit qu’elles aimeraient bien construire une vraie cuisine mais que, bien sûr, elles n’en avaient pas les moyens… J’ai pour habitude de ne pas faire de promesses que je ne saurais être sûre de tenir mais je leur ai fait celle de ne pas les oublier et de parler d’elles en France.
Je ne veux pas oublier ces femmes qui, malgré des conditions de vie que nous aurions du mal même à imaginer, gardent pour la plupart de celles que j’ai rencontrées ici en Orissa ou au sein de la communauté tibétaine au Népal un cœur ouvert, une générosité incroyable. Je suis certaine, pour avoir vécu près d’elles de longues semaines, que c’est ce chemin du Dharma dans ce qu’il a de plus simple qui les conduit sûrement à vivre et à affronter les obstacles d’une existence si particulière, non pas avec résignation, mais avec confiance et courage.
La conduite de ces femmes est pour moi, et sans aucune doute pour nous, femmes bouddhistes, une grande leçon d’humilité.