Accueil Femmes remarquables Gladys Aylward

Gladys Aylward

PARTAGER

Elle était contemporaine d’Alexandra David-Neel, mais si elles étaient toutes deux en Chine au même moment, elles n’avaient guère de chance de se rencontrer et encore moins de se comprendre.

En effet, une fois n’est pas coutume, nous n’allons pas vous parler d’une femme bouddhiste, mais chrétienne. Gladys Aylward était chrétienne anglicane, profondément et sincèrement dévouée à sa foi, elle eut un destin si extraordinaire qu’on fit un film de sa vie, un film pourtant très inférieur à la réalité.

La photo ci-dessous la montre à l’enterrement de Janie Lawson, la vieille femme qui l’accueillit en Chine, entourée de convertis et de muletiers, clients de l’auberge qu’elles avaient ouverte ensemble pour porter l’Evangile.

5gladys

Alexandra David Neel abhorrait les missionnaires chrétiens qui, disait-elle, venaient faire des conversions « de riz », autrement dit qui achetaient les convertis en remplissant leurs estomacs. Par ailleurs, la foi dévotionnelle était quelque chose de totalement étranger au tempérament d’Alexandra qui se voulait toute de rigueur dans sa démarche, y compris dans l’étude des pratiques magiques ou de sorcellerie du lamaïsme tibétain.

Gladys Aylward était toute à l’opposé d’Alexandra, y compris socialement. Elle venait d’un milieu fort modeste, sans bagage livresque, mais armée d’un désir ardent de servir son Dieu. C’est cette sincérité extrême, cette honnêteté que nous célébrons aujourd’hui chez ce petit bout de femme véritablement hors du commun.

Domestique en Angleterre, elle ne rêvait que de devenir missionnaire en Chine. Sa candidature refusée par les missions qui la regardait comme trop âgée pour pouvoir apprendre la langue chinoise, elle accumula l’argent de son voyage penny après penny et partit par le transsibérien rejoindre une vieille femme dont elle ne connaissait rien dans un coin reculé de la Chine.

Elle se lançait à traverser la moitié du monde avec toute l’intrépidité que donne la foi. Près de la frontière chinoise, elle se retrouva une nuit seule dans un train, loin de la gare la plus proche et qu’elle ne put retrouver qu’en marchant pendant des kilomètres dans la neige, le long de la voie de chemin de fer, accompagnée du hurlement des loups. Puis elle échappa aux camps de travail des communistes pour arriver enfin dans ce pays où les étrangers étaient des « diables » à qui l’on jetait des mottes de boue.

Elle se retrouva rapidement seule après la mort de la vieille missionnaire qui l’avait accueillie et réussit à s’intégrer si profondément à ce coin de Chine qu’elle se fera naturaliser chinoise. Elle, dont les missions anglaises jugeaient qu’elle était trop vieille pour apprendre la langue, finira par parler cinq dialectes différents, dont le chinois mandarin.

Elle fut engagé par le mandarin local pour convaincre les femmes d’abandonner la pratique abominable de bander les pieds des petites filles. Il faut dire que c’est à l’instigation de sa femme, chrétienne, que Tchang Kai chek, alors au pouvoir, ordonna que soient prises des mesures énergiques pour faire évoluer les mentalités.

Rien ne peut donner une idée de la souffrance qu’enduraient les petites filles qui, dès l’âge de quatre ans avaient les pieds bandés au point que les orteils recourbés entraient dans la plante du pied. voir un article sur ce sujet. On voit dans la photo ci-dessous, la tristesse accablante de cette vieille femme aux pieds bandés.

Elles souffraient le martyre durant tout le temps de la croissance du pied et demeuraient toute leur vie des infirmes qui avaient du mal à marcher et boitillaient péniblement. Des vieilles femmes ont témoigné devant les caméras qu’au temps de leur adolescence, elles se plongaient les pieds dans l’eau bouillante pour que la douleur de la brûlure allège celle de leurs os déformés.

De toutes les coutumes barbares qui ont mutilé les corps des femmes au fil des siècles, celle des pieds bandés est probablement la plus atrocement douloureuse. Dans un pays policé qui avait subi l’influence du bouddhisme, dont l’administration était aux mains de mandarins choisis selon leurs mérites et l’étude des classiques confucéens, on ne pourrait comprendre comment une pareille barbarie a pu se poursuivre pendant un millénaire si l’on oublie la place inférieure qu’occupaient (et qu’occupent encore) les femmes dans la société chinoise traditionnelle.
Confucius estimait que la société idéale était une société hiérarchisée où chacun devait rester à sa place, les femmes étant en bas de la pyramide, uniquement bonnes à la fabrication d’un fils et à servir de domestiques à la famille et à la société mâle.

Il était courant de tuer ou de vendre les fillettes (voir le beau film sur ce sujet : Le Roi des Masques), aussi, tout ce qui pouvait donner de la valeur à une petite fille était mis en oeuvre par les femmes elles-mêmes, quel qu’en soit le prix de souffrance à payer.

Le conditionnement aidant, les femmes en étaient venues à regarder des pieds normaux comme « gigantesques » et comme la marque d’une classe méprisable de paysans. (la coutume des pieds bandés s’est d’abord répandue dans les classes aisées où les femmes n’avaient pas besoin de travailler physiquement).

5piedsbandes

Il faut bien constater que les bouddhistes n’ont pas lutté contre cette coutume. Les hommes voyaient même dans cette atroce barbarie une stimulation érotique et un moyen de garder la chasteté des femmes qui pouvaient à peine se déplacer. On est même surpris qu’Alexandra David-Neel, qui aimait tant la Chine, n’ait pas dénoncée cette coutume qui frappait les femmes d’une si cruelle malédiction.

Ainsi Gladys Aylward se retrouva inspectrice des pieds. Elle dût lutter contre la pesanteur de la coutume et finit par faire évoluer la mentalité des femmes qu’elle rencontrait à l’égard de leur propre souffrance et de celle de leurs filles.

Elle voyageait régulièrement dans tout le district, et peu à peu en vint à adopter des enfants abandonnés, notamment des filles.
Lors d’une émeute à la prison locale, on lui demanda de prouver sa certitude en la puissance de son Dieu en y pénétrant seule, armée de sa seule foi, pour y calmer les forcenés, ce qu’elle fit, et elle calma effectivement l’émeute sans effusion de sang.

La guerre sino-japonaise éclata, elle s’employa à aider les malheureux touchés par les combats et se retrouva, sans l’avoir cherché, à faire de la résistance contre l’occupant. Condamnée à mort par les japonais, elle rejoignit les lignes nationalistes par un voyage épique qui la conduisit à pied à travers la montagne, accompagnée d’une centaine d’enfants qu’elle mit ainsi à l’abri des exactions japonaises.

Un colonel chinois, touché par son courage et son intelligence, lui demanda de l’épouser, elle accepta, mais finalement, les tourbillons de la guerre en décidèrent autrement et elle ne se maria jamais.

Le mandarin de son district, un lettré très fin qui l’avait regardé de haut à son arrivée dans la ville, en arriva, pendant la guerre, alors qu’il était lui-même condamné à mort à la fois par les japonais et par les communistes, par être si impressionné par sa force intérieure et son amour inconditionnel des autres qu’il lui demanda de se convertir au christianisme.

C’est par hasard, pour une émission à la radio anglaise, qu’un journaliste anglais Alan Burgess fut amené à l’interviewer. Il l’interrogea, découvrit son étonnant parcours et finalement publia un ouvrage  » The small woman » qui donna lieu à un film : L’auberge du sixième bonheur avec Ingrid Bergman.

L'auberge du sixieme bonheur
Un superbe portrait de femme courageuse et oublieuse d’elle-même.
Cette humilité s’inscrivait dans la foi profonde de Gladys Alyward qui pensait qu’en regard de la crucifixion du Christ, tout ce qu’elle avait fait n’était rien et ne voyait pas pourquoi il fallait en parler.

Après l’avénement du commmunisme, elle partit s’installer à Taïwan où elle continua inlassablement jusqu’à sa mort à aider tous ceux qui avaient besoin d’elle.

Il est possible de trouver le film en DVD sur Amazon.