Hermes Garanger en 2014
Elle a vingt-neuf ans, elle en paraît dix-neuf, et s’exprime comme si elle était l’incarnation de siècles de sagesse. On le lui dit, elle s’en amuse « Quand j’étais gamine, mon petit frère me reprochait de parler comme une grand-mère. » On essaye de la sortir de ses gonds, on multiplie les questions idiotes, on l’interrompt. En vain. Le regard d’Hermès Garanger reste limpide. Son visage serein. Ses mains ne trahissent aucun agacement. Elle écoute, elle répond, elle se livre avec une incroyable sincérité. « Je n’ai rien à cacher. Je n’ai rien à me cacher, non plus. » Alors, elle raconte…
Elle raconte d’abord sa naissance, il y a vingt-neuf ans de cela, en Ecosse, dans un monastère bouddhiste où ses parents avaient été effectuer une retraite d’une semaine, et où ils ont finalement passé deux ans. Elle raconte ensuite leur retour en Bourgogne, l’achat d’un château et d’un vaste terrain pour y édifier le monastère tibétain de Kagyu Ling, l’école du village le matin, la vie au sein de la communauté l’après-midi, dans un univers de lamas, de nonnes et de laïcs. Elle raconte les robes safran et les instruments de musique sacrée qui étaient son quotidien, Kalou Rimpotché, son maître, qu’elle tenait par la main quand elle était toute petite, « comme mon grand-père », pour jouer et bavarder. C’est là qu’elle s’épanouissait.
L’école m’ennuyait. J’avais des copains, j’allais jouer chez eux, ils venaient jouer chez moi, mais je ne me retrouvais pas dans leurs centres d’intérêts les fermes, les vaches, les tracteurs. Ils parlaient de leur avenir. Pour moi, je n’en voyais qu’un seul: être bouddhiste pratiquante. Partir àl’intérieur de moi pour me libérer. Ils me disaient que ce n’était pas un métier. Mais c’était ma voie.
A quatorze ans, l’âge des premières boums et des posters de chanteurs, Hermès Garanger prend le voeu de chasteté. Elle est ravissante, elle évite d’en rajouter: pas de maquillage ni de minijupes, rien qui puisse séduire un garçon. Difficile en pleine adolescence ? « C’était un choix personnel, insiste-t-elle. Et puis, je ne me souviens pas avoir traversé une crise d’adolescence. » A quinze ans et demi, elle décide de suivre les cours de seconde par correspondance. Mais la rentrée scolaire coïncide avec la préparation d’un groupe à la retraite de trois ans, trois mois, et trois jours. Une malentendante fait partie du groupe : Hermès est chargée d’assister aux cours de préparation, et de retranscrire, à son intention, les enseignements prodigués par un grand maître venu spécialement d’Inde. Résultat ? Hermes… entre en retraite, devenant ainsi la plus jeune Occidentale à effectuer cette pratique. Du bout des lèvres, elle admet que cette entrée fut précoce, y compris au regard des critères asiatiques, les moines tibétains n’y participant généralement pas avant l’âge de dix-sept ou dix-huit ans.
Ce furent les plus belles années de ma vie, dit-elle avec une lumière dans les yeux. J’ai tout appris sur moi, même si ma motivation première n’était pas de me rechercher moi-même, d’essayer de me comprendre, mais tout simplement d’apprendre à méditer.
C’est ainsi que durant trois ans, trois mois et trois jours, Hermès a vécu dans une cellule de neuf mètres carrés, avec un coin cuisine où elle préparait ses repas. Au programme : deux rituels collectifs quotidiens, des séances de yoga, et surtout quatorze heures de méditation en solitaire, chaque jour, sur des supports changés régulièrement par le maître. Soit deux cents pratiques différentes, avec leurs divinités, leurs mantras, leurs textes à réciter. Et un immense travail à faire sur soi, sur ses colères, sur ses émotions. Le tout selon le programme ancestral, tel qu’il est enseigné au Tibet depuis des siècles.
Trois ans plus tard, c’est une nouvelle jeune fille qui émerge de sa cellule. « Une fois qu’on a tenu ce pari, qu’on est restée coupée du monde, sans aucun lien avec l’extérieur sinon quelques lettres anodines, sans journaux, sans radios, eh bien, après cela, on est solide J’ai l’impression que ma vie a commencé à partir de cette sortie: la retraite m’a donné les bases sur lesquelles je peux tout construire aujourd’hui », confie-t-elle. Les bases, et surtout une manière d’être: J’ai pris du recul. Ce qui m’aurait autrefois agacée me fait désormais sourire. Il m’est plus difficile de me mettre en colère, d’être jalouse, d’éprouver des sentiments négatifs : je m’interroge tout de suite, je m’analyse avant même que l’émotion n’explose. Et je réalise que rater un bus n’est pas la fin du monde, et que même si je m’énerve, le bus, lui, il s’en fiche. Alors, à quoi bon ?
Cet état d’esprit doit s’entretenir, concède la jeune femme. Non par un approfondissement de connaissances théoriques ou par la lecture d’ouvrages consacrés au bouddhisme, mais par l’exercice de ces principes. Si, par la suite, elle a multiplié les retraites de quelques mois en Inde ou au Népal, elle se plie à une discipline rigoureuse: une à deux heures de méditation quotidienne, histoire de bien explorer ses recoins obscurs, ceux qui l’empêcheraient de continuer à transformer ses émotions négatives en émotions positives. Tant et si bien qu’Hermès Garanger peut affirmer sans ciller: « Je crois que je me connais complètement. Au risque de vous paraître prétentieuse, je peux même dire que je suis maître de moi-même. Ceci dit, il me reste certainement encore beaucoup à apprendre. Jusqu’à la fin de ma vie, puis dans toutes les autres vies qui viendront après. »
Pour ce qui est de cette vie, elle caresse le rêve de poursuivre cet apprentissage en rencontrant de vieux maîtres qui méditent, seuls dans des grottes, au fin fond de l’Himalaya. Actuellement attachée de production, elle a même rédigé des scénarios de documentaires dans cette perspective. Il ne lui manque plus que le producteur intéressé par ce projet. Elle attend donc, en peaufinant d’autres projets encore. Dans l’indifférence ?
Ne confondez pas indifférence et non attachement, supplie-t-elle. Il est impossible d’être indifférent à tout ce qui se passe autour de nous!
Djénane Kareh Tager