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Karma Lekshe Tsomo – conseils à une future nonne

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Une lettre de Karma Lekshe Tsomo pour le thème du n° 21 : Devenir nonne

Karma Lekshe Tsomo, spécialiste en études bouddhiques, enseigne à l‘université de San Diego en Californie des cours de religions comparées, l’éthique religieuse, les identités religieuses et politiques au niveau global, et la diversité religieuse en Inde.

 

Karma-Lekshe-TsomoSes intérêts de recherche portent sur les femmes dans le bouddhisme, la mort et les mourants, l’éthique féministe bouddhiste, le bouddhisme et la bioéthique, la religion et la politique, et le transnationalisme bouddhiste. Elle intègre science et militantisme social à travers Sakyadhita, l’Association internationale des femmes bouddhistes, et la Fondation Jamyang, un projet éducatif novateur pour les femmes dans les pays en développement, avec 15 écoles dans l’Himalaya indien, le Bangladesh et le Laos. Karma Lekshe Tsomo est allée comme Jetsunma Tenzin Palmo à Taïwan pour recevoir l’ordination complète de Bikshuni.

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Une guirlande de conseils pour les moniales potentielles

Chère amie,

Merci pour ta lettre. Je suis très heureuse de savoir que tu t’intéresses à l’ordination de nonne Bouddhiste. La question de l’ordination est complexe et fascinante. L’expérience de chacune des personnes ordonnées est unique et dépend de nombreux facteurs. Pour commencer, je te suggérerais de lire les sections du livre sur Sakyadhita : Daughters of the Bouddha, qui est en relation avec l’ordination et les monastères en Occident. Cela répondra peut-être à certaines de tes questions, mais sans aucun doute en soulèvera d’autres. Selon la tradition bouddhiste, le signe que le Dharma est établi, est la présence d’une sangha monastique. C’est mon vœu le plus sincère qu’une sangha solide s’établisse en Occident, c’est pourquoi je suis très heureuse de partager mon expérience avec toi.

Je suis ordonnée avec bonheur depuis 19 ans : 13 ans en Inde et 6 ans à Hawaï. Cependant, j’ai eu de nombreux amis au cours de ces années qui ont pris l’ordination, mais ont rendu leurs robes. Leur expérience met en évidence des questions qui doivent être sérieusement étudiées par toute personne souhaitant l’ordination.

Le vœu d’être ordonné est extrêmement vertueux, très certainement le résultat d’actions positives et de prières. Le mode de vie monastique est merveilleux pour la pratique du Dharma, mais être moniale en Occident n’est pas toujours aisé. Le bouddhisme est récent en Occident et il n’y a encore que peu de support pour les moniales occidentales, à quelque niveau que ce soit. Que ce soit en Inde ou en Occident, les problèmes de la vie ne peuvent être résolus simplement en recevant l’ordination.

L’une des premières choses à considérer est sa motivation pour être ordonnée. Si c’est pour vivre une vie sereine, échapper aux problèmes du monde, éviter les contacts humains, avoir un retrait vis-à-vis des problèmes émotionels, ou obtenir un soutien matériel, recevoir l’ordination n’apportera aucune garantie. La plus haute motivation est de pratiquer les enseignements du Bouddha de tout son cœur, pour se libérer soi-même et les autres des cycles de l’existence. Les laïques peuvent également pratiquer les enseignements du Bouddha de tout leur cœur, mais ce qui distingue une pratiquante ordonnée, c’est la profondeur de son engagement. Recevoir l’ordination de novice ou l’ordination complète est un engagement à maintenir différents niveaux de préceptes pour toute la vie. Prendre n’importe lequel de ces engagements exige une compréhension profonde des enseignements et une ferme résolution à les pratiquer.

La condition indispensable pour prendre l’une de ces ordinations est de prendre refuge dans le Bouddha, le Dharma et la Sangha, ce qui signifie devenir Bouddhiste. C’est pourquoi, il est important de réfléchir sur ses affinités avec cette tradition spirituelle avant de prendre un tel engagement. Il est également important de réfléchir à sa propre détermination à maintenir les préceptes avant de les prendre. L’ordination de novice et l’ordination complète représentent des engagements toujours plus sérieux dans la pratique du Dharma. Ces ordinations impliquent davantage de responsabilités et un engagement plus important : porter des robes, se raser la tête, maintenir des principes supplémentaires et adopter le comportement attendu d’une moniale bouddhiste.

Adopter ces engagements est un processus graduel avec un dévouement toujours croissant pour la voie bouddhiste. Même si j’étais bouddhiste depuis l’enfance et ai souhaité être nonne pendant de nombreuses années, j’ai commencé en prenant refuge lors d’une cérémonie formelle avec mon Maître. J’ai commencé par prendre les deux vœux laïques que j’étais confiante de pouvoir respecter. Chaque année j’en ai ajouté un, jusqu’à en avoir cinq. Après avoir maintenu les cinq préceptes laïques pendant plusieurs années et étant confortable dans cette situation, il m’a encore fallu plusieurs années pour simplifier ma vie avant de devenir nonne. Lorsque j’ai rencontré le Ven. Nyanaponika Thera, le célèbre moine allemand, au Sri Lanka, et lui ai fait part de mon aspiration à devenir nonne, il m’a donné un conseil, « Assure-toi que tu n’es pas en train d’essayer de fuir une situation quelconque. » Cela s’est révélé être un excellent conseil. Cela m’a incité à me pencher sur ma motivation et à considérer sérieusement si j’étais prête pour une vie monastique.

Il est possible de prendre huit préceptes à vie, incluant le célibat, et de continuer à vivre dans le monde. Une telle personne peut porter des vêtements laïques, avoir un travail et une coiffure ordinaires, mais en privé elle maintient des préceptes similaires à ceux d’une moniale. Maintenir discrètement une vie célibataire est extrêmement vertueux, mais peut également être très difficile. Étant donné qu’aucune marque extérieure ne la distingue d’une personne laïque, il est aisé d’être aspiré dans les affaires mondaines et de perdre sa résolution monastique.

Devenir moniale est très différent, étant donné que les robes et la tête rasée sont le symbole du dévouement à la vie spirituelle et de son désengagement des questions ordinaires telles que le sexe, l’alcool et les divertissements. Être vue de cette manière a ses avantages et ses inconvénients. Cela nous protège des tentations de ce monde, donne aux autres une ressource spirituelle immédiatement identifiable et est un rappel constant de nos aspirations spirituelles. Dans le même temps, les gens ont des attentes à propos de ce qu’une personne spirituelle devrait être et attendent qu’elle vive au niveau de ces exigences. À défaut d’une motivation suffisante, de telles attentes peuvent être ressenties comme gênantes.

Pour moi, l’ordination a souvent été une cause de lutte pour ma subsistance. L’une des premières choses à considérer est comment subvenir à ses besoins. Dans la tradition Tibétaine, il est possible de travailler et d’être ordonnée. À moins d’être indépendante financièrement ou de trouver des moyens de subsistance, il peut être nécessaire de travailler, mais je ne pense pas qu’il soit nécessaire ou approprié pour une moniale de porter des vêtements laïcs ou d’avoir les cheveux longs. J’ai travaillé dans des hôpitaux et des universités pendant des années avec mes robes et mon crâne rasé. Les robes attirent l’attention, ce qui peut être inconfortable. Contempler la valeur des préceptes aide à développer la confiance en soi, tandis que contempler la compassion pour les êtres vivants contribue à faciliter les choses pour les autres. Avec le temps, les gens s’habituent aux robes et viennent souvent demander un conseil spirituel. Les robes semblent inspirer la confiance et permettent aux gens de se souvenir de leur propre dimension spirituelle. Certains disent qu’il vaut mieux porter des vêtements ordinaires et être intégrés à la société, mais je ne souhaite pas être intégrée à la société, étant donné que mes objectifs et mes intérêts sont très différents de ceux de la majorité.

Je recommande aux personnes intéressées par l’ordination de commencer en recevant les principes laïques et en les pratiquant jusqu’à ce qu’elles se sentent à l’aise. Dans le même temps, en lisant et en discutant avec des gens qui portent ou ont porté les robes, vous pouvez étudier la question d’être moniale dans la société occidentale, en comprendre aussi bien les bénéfices que les défis. Vous devez également soigneusement étudier la question du soutien financier, étant donné que vous ne pouvez pas vous attendre à un support de qui que ce soit.

Devenir moniale est un engagement de toute une vie et suppose d’essayer de vivre selon des règles de discipline très strictes établies au temps du Bouddha. Il est important d’être clair au niveau du code de discipline, aussi bien que des attentes sociales et culturelle impliquées, avant d’être ordonnée. Même s’il est possible de changer d’avis et de retourner à la vie laïque, c’est généralement une expérience décevante, aussi bien pour la personne que pour son entourage. À l’heure actuelle, il n’y a pas d’endroit idéal pour les moniales occidentales envue de s’initier à la vie de moniale, il est donc difficile d’apprendre comment se comporter de manière correcte. Il y aurait un grand besoin de formations pour les moniales potentielles et les nouvelles moniales.

Une autre chose à prendre en considération est la question de genre. Que ce soit dans les sociétés occidentales ou asiatiques, les moines et les nonnes sont souvent traités différemment. Les moines, particulièrement en Asie, sont traités avec respect et on leur assure un support matériel, tandis que les nonnes, particulièrement les nonnes occidentales, sont parfois négligées. De telles expériences de discrimination de race et de genre peuvent être assez décourageantes. Les attitudes changent rapidement et les femmes peuvent apporter une contribution très positive en démontrant leurs aptitudes. L’approche la plus efficace dans les sociétés asiatiques semblent être l’humilité, la sincérité et la persévérance.

Ce qui m’a permis de vivre une vie de nonne comblée durant des années, a été d’apprendre à transformer mon attitude envers les situations difficiles. Lorsque je n’avais pas d’argent, je réfléchissais au renoncement. Lorsque je rencontrais des obstacles, je réfléchissais au mûrissement du karma. Lorsque j’étais malade, je réfléchissais aux Quatre Vérités Incommensurables. Lorsque je me sentais mal à l’aise, je réfléchissais à la nature de Bouddha, au potentiel de tous les êtres de manifester l’Éveil. La prière m’aidait à développer l’humilité, tandis que les humiliations m’aidaient à développer ma force interieure.

Mon Maître me rappelait de réfléchir à la rareté de l’ordination, à constamment me réjouir de ma bonne fortune. Générer la bodhicitta, l’attitude de souhaiter atteindre l’Éveil pour le bien de tous les êtres vivants, est l’une des plus grandes leçons du bouddhisme pour maintenir une pratique constante et gérer les difficultés de la vie monastique quand elles se présentent. Avec sincérité et une motivation pure, toutes les difficultés peuvent être dépassées et peuvent même être bénéfiques à notre pratique. Si tu as d’autres questions, n’hésite pas à m’écrire à nouveau.

Te souhaitant beaucoup de bonheur dans le Dharma,

Karma Lekshe Tsomo

 

Traduction Bouddhisme au féminin