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La notion de Dieu dans le Bouddhisme par Anne Michel

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L’élan religieux ou spirituel se manifeste de diverses manières selon les religions ou les philosophies, mais son but est le même : “relier“, chercher du sens en profondeur à nos vies. Cet élan peut apporter un sentiment d’unification et d’appartenance qui apaise l’inquiétude fondamentale liée à la fragilité de la nature humaine.

Certaines religions partent d’un a priori, c’est l’existence de Dieu ou de plusieurs dieux. Ce que chacun·e met derrière ce nom est subjectif et varié. Dieu peut être appréhendé comme le père créateur, le justicier qui punit et récompense, le Tout-Puissant, une énergie d’unification, une force bienfaisante qui inclut tout, … Il peut être le Dieu de tous ou celui d’un groupe particulier à l’exclusion de tout autre.

Dans le Bouddhisme, la quête n’est pas liée à un apriori mais à l’exigence de vérifier les propositions du Bouddha pour mettre fin à la souffrance. Nul besoin d’avoir la foi. Il s’agit d’explorer le “qui suis-je“ de manière très concrète pour comprendre comment développer ce sentiment d’appartenance au tout qui nous libère de l’inquiétude et des réactivités qu’elle engendre.

L’outil principal pour se libérer de la souffrance est la Pleine Conscience. Nous employons la conscience pour nous unifier à l’instant tel qu’il est. L’instant, s’il est accompagné de respect et de lâcher prise, est ce qui est le plus proche de la libération. En reconnaissant l’expérience telle qu’elle est, en la ressentant concrètement, nous purifions l’esprit de la tendance à la séparation. Ce qui crée souffrance, c’est la tension créée par l’identification à l’expérience. Au lieu de nous unifier en ressentant l’expérience et en nous situant hors de l’identification, dans un espace de réceptivité tout incluant, nous croyons au monde duel et à sa complexité : ceci est bien, cela est mal ; je veux ceci et je rejette cela. Tout l’intérêt est fixé dans le mental et il y a un oubli que nous sommes aussi le corps et les ressentis et que nous ne pourrions pas vivre sans les autres. Rien n’est plus éloigné de la libération, de Dieu, du Nirvana, que cet instinct inconscient de séparation perpétuelle du “moi“ avec l’expérience.

Comment vivre un sentiment d’appartenance en nous liant uniquement au mental et en oubliant toute une partie de notre monde intérieur ?

Dans notre vécu au quotidien, le chemin demande un effort pour cultiver un comportement respectueux et bienveillant et pour éviter les réactivités non bénéfiques liées à la colère, à la peur ou à la frustration.

Par contre, dans l’exercice de la méditation, nous avons à ouvrir la conscience à tout ce qui émerge dans l’instant, ombre et lumière. En rejetant les ressentis désagréables, nous leur donnons un pouvoir qui va leur permettre de se manifester par nos actes non-bénéfiques souvent inconscients. Avijja, l’ignorance ou la non connaissance, nous pousse à nous accrocher à ce qui est agréable et à rejeter ce qui est désagréable. Pour aller vers la libération, l’unification, c’est important de voir ces impulsions pour pouvoir les lâcher. Ainsi la colère, l’anxiété, la jalousie peuvent être considérées comme des énergies précieuses à laisser être, à ressentir pleinement, en silence, et à exposer à la lumière de la conscience. En ne respectant pas l’instant tel qu’il est, nous créons la séparation, tout en croyant nous rendre heureux.

 La science de l’esprit qu’est le Bouddhisme nous propose de rencontrer toutes les émotions perturbatrices de manière immédiate et très concrète, sans jugement et sans peur. C’est le chemin pour aller au-delà du bien et du mal, dans l’inébranlable paix du coeur, le Nirvana, ce qu’on peut appeler Dieu :  un lieu intérieur de confiance, d’unification, de détente, de sentiment d’appartenance, de paix indépendante des conditions bonnes ou mauvaises qui arrivent et passent dans nos vies.

Il y a trois notions qui aident à se situer au-delà des vicissitudes du monde. Lorsque nous reconnaissons l’expérience avec impartialité et bienveillance, sans identification, nous réalisons la valeur de la non-passion : ancrés dans la conscience, nous voyons comment nous passons d’un désir à l’autre, plutôt que d’assouvir inconsciemment nos impulsions. En réalisant combien l’abandon des désirs est bienfaisant, une qualité de désenchantement pour le monde émerge : nous ne croyons plus que ce monde est la seule réalité. Nous n’oublions pas qu’il y a un ancrage possible dans ce qui est au-delà, et nous savons que cet ancrage peut être ressenti juste maintenant en nous unifiant à l’instant. La délivrance est alors réalisée : il y a un lâcher-prise de cette trop grande importance donnée à ce qui est conditionné. Nous appartenons à ce monde, nous y sommes profondément engagés, mais nous savons qu’il ne peut pas nous apporter ce que nous cherchons au plus profond de nous-même. Nous vivons dans ce monde mais nous ne sommes pas de ce monde.

Le Bouddhisme a le privilège d’offrir un chemin très simple, mais pas facile, pour libérer l’esprit de l’aveuglement, sans croyance préalable. Pour réaliser ce bonheur non-conditionné, la souffrance est un outil de choix : rester unifié au ressenti, même quand nous sommes dans la peine, et savoir que ce n’est pas ce que nous sommes vraiment. Le Nirvana c’est la fin de la souffrance, infligée à soi-même et aux autres.

Anne Michel     Chapelle  18 mars 2019

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