Nous avons vu dans notre premier numéro la place des nonnes dans le bouddhisme tibétain, une place fort différente pour les nonnes occidentales et pour les nonnes tibétaines. En ce qui concerne le zen, les choses sont différentes.
Nous nous intéresserons ici au zen japonais bien sûr, mais aussi au zen coréen et au zen vietnamien, c’est à dire à des écoles qui ont essaimé largement en Occident. Pour trouver un panorama exhaustif des différentes écoles du Mahayana, nous vous conseillons de consulter Wikipedia
Le Japon n’est pas facile pour des étrangers, outre la barrière de la langue qui représente un obstacle de taille, il est difficile à des Occidentales de franchir les barrières culturelles et de saisir des fonctionnements trop différents de leur manière de penser et de sentir. Néanmoins, des femmes ont eu la détermination de s’y rendre et d’y suivre pendant des années une formation souvent très rigoureuse. C’est sur la base des témoignages de trois d’entre elles que nous traiterons de cette question.
Auparavant, nous donnerons la parole à une nonne japonaise, une enseignante remarquable, Aoyama Roshi qui, dans l’interview qu’elle a donnée à Actualités des religions en 2002, décrit la situation actuelle du Zen au Japon.
Jiyu Kennett est l’une des premières Occidentales qui entreprit de se rendre au Japon pour suivre une formation complète et devenir prêtre zen. Elle s’y rendit dans les années 1960. Elle se retrouva la seule nonne dans un monastère d’hommes. Il existe des monastères de femmes au Japon, mais son maitre la voulait auprès de lui, il ambitionnait de répandre le Dharma auprès des Occidentaux et voyait en elle une aide future.
Elle rencontra d’énormes difficultés, à la fois à cause de la barrière de la langue, du fait qu’elle était étrangère et aussi du fait que le maitre avait imposé sa présence, elle une femme, dans ce grand monastère impérial de tradition soto, où se jouaient toutes sortes de luttes intestines pour le pouvoir. Elle a tenu un journal de cette période de formation et l’on ne peut qu’être saisi d’admiration face à son endurance et à sa détermination.
En dépit de toutes ses tribulations, Jiyu Kennett réussit à atteindre l’ordination complète, elle reçut même le titre de propriété d’un temple, qui consacrait son rang de prêtre dans l’école soto. Il lui a été possible de parcourir un chemin fermé à Tenzin Palmo à la même époque en Inde dans la tradition Tibétaine. Il est paradoxal que Tenzin Palmo ait été accueilli avec gentillesse par des moines qui lui refusaient un enseignement du fait qu’elle était une femme, tandis que Jiyu Kennett, qui devait affronter l’hostilité ouverte de certains moines, réussit, grâce au soutien de son maitre, à être officiellement reconnue comme prêtre dans la tradition soto du zen japonais.
Un autre témoignage nous vient d’une jeune irlandaise, Maura O’Halloran qui vécut trois ans au Japon dans les années 80 (vingt ans après Jiyu Kennett). Son parcours reste unique et exceptionnellement touchant. Elle fut reçue dans un petit monastère avec quelques moines seulement. Elle suivit la voie des koan avec une ardeur extraordinaire. Elle fut tuée dans un accident de bus en Thaïlande, juste avant de revenir en Irlande pour y enseigner. Son journal et quelques lettres ont été publiés et, par chance, traduits en français. On y découvre un tout autre climat que celui qui régnait autour de Jiyu Kennett. Elle est beaucoup mieux acceptée, il n’y a pas d’intrigues politiques, il reste la difficulté de la langue, de la pratique et du rapport avec les quelques moines qui peuvent se montrer extrêmement rudes. (voir livres)
Toujours au Japon quelques années plus tard, une française nous apporte aussi son témoignage, il s’agit de Joshin Sensei qui dirige actuellement un centre en Ardèche (voir la rubrique enseignantes dans le numéro en cours ). Lors d’une interview par le magazine belge les Voies de l’Orient, elle explique qu’elle s’est trouvée être, elle aussi, la seule femme du monastère où elle se trouvait.
Comme pour Jiyu Kennett et pour Maura O’Halloran, la possiblité de suivre l’enseignement et d’être acceptée et reconnue des moines et des laïcs a reposé sur la volonté de son maitre. Le fait d’ailleurs qu’un maitre soit ouvert à des étrangers, et de surcroit veuille enseigner aussi bien aux femmes qu’aux hommes témoigne de sa qualité et de son ouverture.
La Corée est un pays où les nonnes bouddhistes sont beaucoup plus respectées, où elles enseignent et peuvent occuper des postes importants, c’est pourquoi Martine Batchelor, une française qui y a passé dix ans en tant que nonne, estime que les nonnes coréennes sont celles qui ont le plus d’opportunités de pratique. Après avoir parcouru le monde boudhiste et interviewé de nombreuses nonnes que nous retrouvons dans son livre « Rencontre avec des femmes remarquables » (voir livres), elle nous montre un panorama très riche de nonnes coréennes. Elle a brièvement exposé son expérience de nonne dans cet article.
Le Zen vietnamien est connu en Occident grâce à la figure emblématique de Thich Nat Hanh. La situation des nonnes au Vietnam est un sujet évoqué brièvement par Martine Batchelor dans son compte rendu de la reunion des Sakhyadhita à Séoul en 2004. Lors de son voyage de retour dans son pays, Thich Nat Hanh a évoqué la corruption actuelle du boudhisme au Vietnam. Au village des Pruniers, en Dordogne où il y a une sangha de nonnes et de moines, toutes et tous disposent des mêmes possiblités de pratique, sans discrimination.
Toujours en France, dans le zen japonais représenté majoritairement par l’association zen internationale dans la lignée de Maitre Deshimaru, des femmes enseignent ; elles sont très, trop discrètes car on ne les voit jamais dans l’émission Voix/Sagesses Bouddhistes qui, pourtant, reçoit régulièrement des représentants de cette école.
Dans le monde anglo saxon, les visages féminins du zen sont nombreuses et fortes, nous ne pouvons les citer toutes, nombre d’entre elles ont développé des formes de pratique qui se libèrent du cadre culturel japonais ou coréen pour se consacrer à l’essence de la pratique.
Enfin, sur le blog, cet article de Paula Robinson Arai sur les nonnes zen japonaises au XXème siècle extrait de » Women Living Zen, Japanese Soto Buddhist Nuns », Oxford University Press, 1999.
Au vu des quelques témoignages ci-dessus, il semble donc que la situation des nonnes dans le zen soit meilleure que dans le bouddhisme tibétain, même s’il reste du travail à faire pour que s’établisse une véritable égalité face à la transmission.
Et pour conclure, quelques lignes sur Dogen (extrait de la présentation du livre de Aoyama Roshi par Pierre Crépon)
Dôgen, le moine qui respectait les femmes :
L’école Sotô, à laquelle appartient Aoyama roshi, est l’une des deux principales branches du zen japonais, fondée par Dôgen au XIIIème siècle. Ce moine réformateur, excédé par la décadence, les jeux de pouvoir et la sclérose ritualiste et scolastique des grands monastères de Kyoto, embarque pour la Chine en 1223. Il en revient quelques années plus tard pour implanter le chan (zen, en japonais), insistant sur la méditation assise (zazen). En rupture avec la culture sexiste de son temps, il rejette une certaine misogynie ou tartufferie monastique : «Les plus sots parmi les sots pensent que la femme est un objet de luxure. Et ils ne peuvent regarder une femme sans se dégager de cette idée. Si les femmes doivent être rejetées parce qu’elles sont objet de luxure, alors de même tous les hommes doivent être rejetés. » des femmes peuvent même enseigner le dharma, la loi bouddhiste, aux moines : «Prenons le cas d’une nonne qui a reçu la transmission du trésor du vrai oeil du dharma, on lui doit obéissance. De quel droit seuls les mâles seraient-ils nobles ? Le ciel vide est le ciel vide. Etre une femme ne change rien à l’affaire, hommes et femmes sont également capables d’atteindre la Voie.»
Mais la culture machiste reprendra peu à peu le dessus durant l’époque Tokugawa (1600-1867), il sera même interdit aux femmes de devenir nonnes avant l’âge de quarante ans. L’accès à l’université de l’école Sôto leur sera impossible jusqu’au début du siècle dernier, et cela ne fait que quelques dizaines d’années que des nonnes peuvent être élues abbesse de leur propre temple, jusque-là toujours placé sous la houlette d’un moine, et transmettre le dharma. Paradoxalement, cette discrimination a permis aux femmes de rester à l’écart des turbulences politiques et de l’enrichissement qui a affaibli nombre de monastères masculins au cours des siècles. A l’époque Meiji (fin XIXe siècle) la plupart des moines sont contraints de se marier, la transmisssion de leur temple devenant héréditaire. Les nonnes aussi peuvent se marier, mais la plupart ne le feront pas. Leur zen reste donc en un sens plus proche de celui de Dôgen, plus authentique.