Si le bouddhisme contient un texte sacré, dit Joan Sutherland, c’est le monde lui-même. Votre attachement à ce texte peut être aussi religieux que vous le souhaitez – mais l’éveil qui en résulte peut ébranler votre foi.
Le bouddhisme englobe de nombreuses traditions, évoluant sur de vastes étendues géographiques et temporelles et accueillant tout, de la statue de Bouddha sur un tableau de bord de taxi à certains des traités philosophiques les plus abstrus jamais écrits. Les religieux, les agnostiques et les complètement irréligieux, ainsi que ceux qui ont une inclination psychologique, mystique, chamanique ou sociopolitique, peuvent toutes et tous trouver un logement dans la très grande tente du bouddhisme.
Le bouddhisme est-il une religion? Ma place sous la tente est dans la section Chan et Zen Koan. Dans cette perspective, la réponse est un retentissant «oui-non-en quelque sorte», à l’intérieur duquel pourrait être l’une des possibilités les plus puissantes du bouddhisme.
À la racine étymologique, la religion est ce qui nous rapproche ou nous réunit avec le sacré. Beaucoup d’entre nous aspirent à ce retour d’exil et découvrent ensuite que cela nous mène à un péril existentiel – à la déconstruction et à la réorganisation de notre propre sens de soi et de la réalité.
Dans la pratique courante, la religion fait souvent référence aux systèmes de croyances et aux institutions qui entourent cette aspiration. Ces structures religieuses peuvent parfois être des tentatives pour contrôler l’excentricité inhérente au risque de l’impulsion religieuse.
S’il y a un texte sacré, c’est le monde lui-même, appelé le Grand Sutra, quelque chose que nous apprenons à interpréter.
L’événement religieux au cœur de la tradition koan est l’éveil, ce qui nous réunit avec la nature sacrée ou vraie des choses. L’éveil révèle l’univers en tant qu’un tout indivis, à la fois éternel et chatoyant dans et hors de l’existence. L’éveil s’intensifie à mesure que nous intégrons cette révélation à nos expériences dans le monde quotidien des causes et des effets, et dans le monde non linéaire du mythe et du rêve. C’est une réunion instantanée suivie par un retour permanent de nos vies à la vie du monde.
La tradition des koans soutient cela par le biais d’une culture de l’éveil plutôt que par le biais d’une religion organisée. Au lieu d’écritures infaillibles, c’est tout un ensemble de conversations, d’histoires, de commentaires, de chansons, de poèmes, de blagues – tout ce qui s’est révélé utile pour éveiller les gens au cours des siècles. Les citations de sutras bouddhistes sont transformées en koans, renversant parfois leurs significations traditionnelles. S’il y a un texte sacré, c’est le monde lui-même, appelé le Grand Sutra, quelque chose que nous apprenons à interpréter.
Zhaozhou a dit avoir lu le Grand Sutra: «Quand je trouve un mot inconnu, je ne connais peut-être pas encore le sens, mais je reconnais l’écriture.» Nous ne comprenons pas toujours pourquoi quelque chose se passe ou ce que cela signifie, mais nous en arrivons à avoir confiance dans le fait que nous, et ce qui se passe, faisons partie du même sutra. Ensuite, notre réponse en toute circonstance commence par quelque chose comme: Remarquer ce qui se passe, une suggestion trompeusement simple, facilement transposable et magnifiquement subversive.
Cela n’exige ni Dieu ni de nier Dieu ni aucune autre forme de divinité. Les koans nous demandent constamment de voir le rayonnement de chaque chose, des galaxies aux vers de terre. Les divinités, les esprits et les figures mythologiques brillent de la même lumière que tout le reste. L’autorité vient de la clarté avec laquelle la voix de l’éveil parle à travers quelqu’un, sans distinction de titre ou de poste. L’éveil est aussi susceptible d’être déclenché par un arbre en pleine floraison que par un célèbre enseignant. Interposant le moins possible de filtres et d’idées préconçues entre nous et nos expériences, nous devenons un foyer accueillant pour tous les moments de la journée, y compris les enseignants et les accompagnants, quelle que soit leur forme.
Etre follement épris·e de l’éveil et s’y engager pour tous les êtres de l’univers est une impulsion religieuse assez forte. Pourtant, les koans et les autres traditions de la grande tente bouddhiste sapent les tentatives de « solidifier » la religion autour de cet élan. Nous ne réussissons pas toujours, mais le fait que certain·e·s continuent d’essayer est l’un des puissants potentiels du bouddhisme: être profondément religieux, sans religion.
Joan Sutherland Roshi est une enseignante de la tradition zen koan. Elle vit à Santa Fe, au Nouveau-Mexique, où elle enseigne et dirige la communauté Awakened Life.
Source : Lion’s Roar Janvier 2019 Traduction Bouddhisme au féminin
Voir l’article de Joan Sutherland sur l’illumination
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