Quand je suis face à mes auditrices/auditeurs, ma préoccupation principale est de trouver comment leur dire quelque chose qui leur soit utile et bénéfique. Il ne s’agit pas seulement de mots qui les stimuleront sur le plan intellectuel ou leur apporteront une satisfaction émotionnelle, mais plutôt d’instructions qui peuvent être mises en œuvre et qui encourageront les personnes à essayer de s’aider elles-mêmes, puis ensuite les autres. Aujourd’hui, mon auditoire n’est plus seulement composé de moines, de nonnes et d’ermites, comme cela aurait pu être le cas autrefois. C’est un auditoire de personnes laïques avec des familles, un travail et des obligations sociales classiques. Par conséquent, il n’est absolument pas approprié de m’adresser à elles comme si elles avaient totalement renoncé au monde et qu’elles n’avaient rien d’autre à faire que consacrer leurs journées à la pratique formelle du Dharma.
Le fait est que ces disciples du Dharma, bien souvent sincères et dévoués, n’ont que très peu de temps à consacrer à la pratique formelle. C’est pourquoi j’essaie de trouver les mots qui leur seront utiles et les encourageront, car sinon le Dharma n’aura aucun sens pour elles. Par le passé, dans certaines écoles bouddhiques, on mettait principalement l’accent sur la méditation assise comme unique moyen d’atteindre l’illumination. On considérait que la vie quotidienne, la famille et le travail étaient des obstacles à la pratique. Pour corriger ce déséquilibre, il faut mettre l’accent sur le fait que c’est justement dans le quotidien, quand il est vécu en pleine conscience et avec un cœur ouvert, que se trouve la base de notre pratique du Dharma. Les échanges humains et la vie quotidienne sont les moyens par lesquels nous cultivons les qualités nécessaires pour marcher sur la voie. Ces entretiens ne sont donc ni des exposés sophistiqués sur la philosophie bouddhiste, ni des instructions détaillées sur la façon de pratiquer la méditation. Ce sont simplement des paroles d’encouragement, pour rappeler aux personnes ordinaires que, toutes et tous, nous avons en nous le potentiel d’un changement intérieur, et que, toutes et tous, nous pouvons y arriver à condition de vraiment essayer. Jetsunma Tenzin Palmo
Les qualités de la pratique
Pour commencer, deux qualités essentielles sont nécessaires pour pratiquer le bouddhisme. La première est de pouvoir se retirer de la société pour un temps, que cela soit quelques heures, quelques jours, quelques mois, voire quelques années. L’autre qualité est d’être capable de porter ce que l’on a pu gagner lors de cette expérience de retrait et de le redonner au monde — dans nos relations aux autres et dans la vie quotidienne.
Ces deux qualités sont indispensables, comme l’inspiration et l’expiration. Des personnes sont quelquefois très impressionnées en entendant parler des bienfaits des retraites – de trois ans, sept ans ou de toute une vie. Elles caressent alors l’idée que, peut-être, si elles aussi elles pouvaient le faire, alors elles pourraient vraiment avancer. Mais, pensent-elles, nous sommes des personnes ordinaires, nous ne pouvons pas faire cela. Elles ont alors l’impression qu’il y a peu d’espoir que leur pratique devienne un jour vraiment profonde. Pourtant, ce n’est pas tant la quantité que la qualité qui compte.
Quelqu’un peut faire une retraite de trois ans avec un esprit distrait et ne pas y gagner grand-chose. Tout comme quelqu’un peut faire une retraite de trois jours en étant très concentré sur sa pratique ; et, même en trois jours, expérimenter une transformation. C’est pourquoi je ne pense pas qu’il s’agisse d’une question de temps, ni de combien de mantras vous avez récités, combien de fois vous vous êtes prosternés, combien de ceci, combien de cela… Nous n’essayons pas de remplir un compte en banque spirituel ! La question importante que nous devons toujours nous demander c’est : est-ce que fondamentalement, il y a eu un changement en moi ?
Un grand pandit du XIème siècle disait que le point essentiel pour juger du bénéfice d’une retraite était de voir si, à la fin de la retraite, nos émotions négatives (colère, avidité, illusions courantes de l’esprit) avaient été affaiblies ou pas.
Même si on passe douze ans en retraite, si nous connaissons toujours les mêmes problèmes intérieurs, la même colère, le même attachement, la même avidité et les mêmes illusions de l’esprit, rien n’a été atteint. Cela n’a pas d’importance combien de millions de mantras nous avons récités, combien de tantras intérieurs nous avons accomplis. C’est très important ; toutes ces pratiques ne sont rien si elles ne transforment pas l’esprit.
Si l’esprit est identique à celui que nous avions en entrant en retraite, c’est que nous n’avons pas progressé. C’est peut-être même devenu pire, peut-être qu’on est très fier de sentir qu’on est devenu un grand pratiquant. On est très satisfait de soi-même et on se dit : « J’ai fait cette retraite et je suis devenu un(e) expert(e) de cette pratique. » En fait, cela ne fait qu’ajouter plus d’impuretés par-dessus celles que nous n’avions pas réussi à évacuer. On en a de nouvelles ! S’il vous plaît, comprenez que ceci est très, très important.
Toutes les pratiques que nous effectuons visent à aider l’esprit, à transformer le mental pour que l’on puisse sincèrement venir en aide aux autres. Si cela ne se produit pas et que l’on est juste fier et satisfait d’être un si bon pratiquant du Dharma parce qu’on fait trois heures de méditation chaque jour, que l’on pratique sans faute et qu’on fait savoir à tout le monde combien de fois on s’adonne aux rituels et à quel point on se lève tôt… Alors quel est l’intérêt ? Vous comprenez ?
L’ego
Toute la pratique du Dharma a pour objectif d’affaiblir notre ego, pas de le renforcer. Nous devons faire très attention à cela. Il n’est pas souhaitable de devenir des professionnels du Dharma, qui veillent à ce que tout le monde puisse voir combien ils sont spirituels, qu’ils sont de bons végétariens, qu’ils ne fument jamais, qu’ils ne vont dans les bars à karaoké, qu’ils ne sont pas de ces gens mondains. Nous sommes des « spirituels professionnels ». Nous sommes très satisfaits de nous-mêmes. Bien sûr, l’Ego adore cela, il se cajole lui-même. « Regardez-moi, je suis tellement supérieur à toutes ces personnes qui se bercent d’illusions autour de moi, j’ai tellement plus de discipline, je suis bien plus maitre de moi. » C’est pour ça qu’il faut être attentif. Nous devons faire attention à ce que notre intention soit toujours pure quand nous pratiquons le Dharma. Parce que nos illusions et notre ego rusé peuvent finir par renforcer les problèmes mêmes que nous essayons d’éradiquer. Pour l’ego, cela devient juste une autre façon de s’installer confortablement et de se sentir bien. C’est ce qui peut arriver à des personnes qui font des retraites ; elles ont un sens d’auto satisfaction pour avoir fait ce genre de pratique.
Les bienfaits des retraites
Cela dit, il est très bénéfique de s’accorder du temps pour sortir de notre quotidien, et de passer toute la journée – et ce qu’on peut de la nuit – entièrement concentrés sur notre pratique spirituelle sans être distraits par nos problèmes habituels. Il ne fait aucun doute que ceci peut avoir des effets véritablement bénéfiques. Vient ensuite la question de savoir s’il est plus favorable de participer à une retraite collective ou de faire une retraite solitaire.
Pour moi, je conseille souvent de commencer par la forme collective. Ainsi, vous bénéficiez du soutien de toutes les personnes qui vous entourent. De plus, comme tout le monde est en méditation, vous ne pouvez pas commencer à tergiverser ou vous dire tout à coup « Oh, ça ne sert à rien », ni vous lever pour vous faire une tasse de thé. Vous devez vous asseoir, quels que soient vos sentiments. Même si vous vous réveillez avec un mal de tête, vous devez quand même vous asseoir. Vous pouvez penser aux milliers de choses que vous avez à faire, mais vous devez quand même vous asseoir. Cela renforce la discipline.
Si une personne n’a jamais fait de retraite auparavant et commence seule, il est possible qu’elle ait aisément une forte motivation au début, puis que, petit à petit, cette motivation faiblisse, pour finalement disparaître complètement. Quand vous êtes en groupe, cela n’arrive pas. De plus, dans un groupe, il y a généralement un leader ou un enseignant, et cela est une grande aide, car l’enseignant coordonne les efforts de tous dans une même direction, en prodiguant instructions et conseils. Si vous avez un problème, il y a toujours quelqu’un à qui vous pouvez en parler. Si on est seul, il y a des problèmes. On peut être ou ne pas être suffisamment discipliné, voire être trop discipliné et trop se contraindre.
De plus, explorer l’esprit est toujours une tâche délicate. D’une certaine façon, la totalité de l’univers est contenu dans notre esprit. Nous avons en nous des niveaux infinis, des profondeurs infinies. Ordinairement, nous n’avons accès qu’à un niveau extrêmement limité et superficiel du potentiel de notre esprit.
Pendant une retraite, quand toute notre attention est tournée vers notre pratique et que la surface du mental commence à se calmer, des vannes s’ouvrent et l’on accède alors à toutes sortes d’expériences et à de nombreuses strates encore inconnues de notre psyché. Nous n’avons pas connu cela auparavant et ce qui se produit peut être vraiment effrayant. Même de bonnes expériences peuvent faire peur. Vous ne savez jamais ce que l’esprit s’apprête à évacuer. Il s’y trouve des anges comme des démons et l’on ne sait pas ce qui franchira la porte qui s’est ouverte. C’est pourquoi il est vraiment bénéfique de commencer par pratiquer avec des enseignants qualifiés qui vous guideront, et d’être en compagnie d’autres personnes.
Si l’on pense commencer par une retraite intensive, il est conseillé de le faire en groupe. Ainsi, on apprend à pratiquer correctement ainsi que le rythme à adopter, ce qui est également un point important. Il faut trouver un équilibre entre être trop relâché — c’est-à-dire quand on ne fait pas suffisamment d’efforts, que l’on n’y passe pas assez de temps pour que quelque chose puisse être atteint — et faire trop d’efforts. En général, pour les gens en retraite solitaire, l’erreur est d’être trop dans l’effort. Ils se contraignent trop. Leurs attentes sont trop hautes et irréalisables.
À propos de la réalisation
Un mot sur la réalisation. Voyez-vous, les gens ont l’impression qu’ils doivent toujours réussir. « Je dois avoir une réalisation, je dois tirer quelque chose de cette retraite. Je dois y arriver. » C’est une approche tout à fait contre-productive. Cela crée beaucoup de tensions dans l’esprit et apporte davantage de stress. Ce désir du mental d’atteindre un but, de réussir à gagner quelque chose, est une formidable barrière en soi-même. Et généralement, les gens finissent juste par atteindre ce que nous appelons Loong, une sorte de déséquilibre du Qi, où les éléments subtils du corps sont complètement déréglés. Ils peuvent finir par tomber malades. Ils sont pris de violents maux de tête, ils se sentent vraiment mal. Ils se mettent en colère, ils deviennent irritables et tendus. C’est assez sérieux, car quand cela arrive, il devient très difficile de pratiquer, cela ne fait qu’empirer la situation. C’est comme un cercle vicieux, plus vous pratiquez, plus vous êtes tendus. Cette tension crée plus de Loong, et ainsi de suite.
C’est pour cela qu’il est très important de pratiquer en étant à l’écoute du sens profond de ce qui est bon pour nous, sans chercher à atteindre un objectif extérieur à nous-mêmes. Nous n’amenons pas une attitude de businessman dans le monde du Dharma. L’idée même de réussite vient de l’ego et c’est justement ce dont nous essayons de nous délester. « J’ai récité cent millions de mantras quand ils n’en ont fait que dix. » Là encore, nous sommes face à ce problème de quantité : « J’ai fait tant, j’ai atteint tout cela. » C’est tout à fait contre-productif.
Ce n’est pas ce qu’il est souhaitable de faire, emporter cet état d’esprit mondain, contrôlé par l’ego, dans la pratique du Dharma. Nous essayons d’aller au-delà, de détendre l’esprit, d’apprendre à lâcher prise et à percer à jour l’ego avec tous ses plans.
Un jour, quelqu’un a demandé à un lama, « Quel est le but et la finalité de la méditation ? ». Il a répondu : « D’une certaine façon, la méditation traite justement de la question même d’avoir un but. » Pourquoi ne s’assiérait-on pas juste et pratiquer, simplement parce que c’est quelque chose de bien et non parce qu’on veut atteindre un objectif ? On ne veut rien en retirer, c’est juste agréable pour nous d’être assis là. En réalité, c’est quelque chose de vraiment bien de pouvoir simplement être assis, de pratiquer, de méditer… Qu’y a-t-il de mieux à faire ? En soi, cela est déjà suffisant. Et si nous pouvons détendre notre esprit tout en étant complètement absorbés par la pratique parce que nous prenons du plaisir à la faire, alors les résultats arriveront d’eux-mêmes. C’est pourquoi nous ne devons pas regarder une retraite comme une sorte de cours intensif qui précède un examen. C’est le moment d’être vraiment juste complètement conscient de ce que l’on en train de faire maintenant, et simplement de le faire.
Source : Buddha Dharma Education Association Inc. Traduction : Bouddhisme au feminin