Par une tournure inattendue d’événements ou de connexions karmiques, je me suis retrouvé à être la seule personne physiquement présente avec Ani Tsultrim Palmo au moment où elle est décédée. Je veux partager un peu de ce que j’ai observé lors de derniers moments d’Ani Palmo. Beaucoup de gens qui la connaissaient ont dit combien Ani Palmo était dans la vie une pratiquante et une enseignante puissante, et je peux confirmer que dans la mort, elle ne l’a pas moins été.
Ce que à quoi j’ai assisté dans la matinée du mardi 19 Octobre 2010 a été le passage d’une pratiquant bouddhiste du genre le plus déteminé, dont la foi, la détermination et l’engagement envers le Dharma n’ont pas faibli, même au milieu de ce qui était sûrement les circonstances les plus difficiles qu’elle ait eu à affronter.
Ani Palmo est morte en écoutant un enregistrement que Ani Pema Chodron avait fait spécialement pour elle du Livre des Morts Tibétain. La section qu’elle écoutait était les instructions sur la mort, le lâcher-prise des attachements à cette vie et la détente dans l’espace de la mort et de la nature vide et lumineuse de l’esprit. Bien que Ani Pema n’était pas été physiquement présente dans la salle, avec sa voix guidant Ani Palmo avec amour à travers chaque étape du processus de la mort, c’était vraiment comme si Ani Pema était présente – même plus que moi – tenant Ani Palmo par la main et la guidant avec toute son habileté, et j’étais simplement là pour en témoigner.
Quand je suis entré dans la chambre d’hôpital ce matin-là, moins de deux heures avant sa mort, Ani Palmo était encore consciente et elle parlait avec une grande urgence dans ce qui semblait être sa langue maternelle polonaise, bien que ce soit difficile à dire. Je pense que j’ai pris d’abord ce qu’elle disait comme n’ayant plus de sens, et je n’ai pas trop essayé de la suivre. Mais après quelques minutes, j’ai reconnu clairement plusieurs des mots qu’elle disait: «Om Ah Hum! » Et alors j’ai commencé à chanter le mantra « Om Ah Hum Vajra Guru Padma Siddhi Hum » pour elle. Ani Palmo s’est alors calmée et a écouté ce mantra pendant un moment, mais deux ou trois fois, elle a renchéri avec un autre « Om Ah Hum! » En fait, ces trois syllabes du mantra de Padmasambhava furent vraiment ses derniers mots prononcés clairement.
Avec le recul, je me rends compte maintenant que Ani Palmo n’était pas en train de parler dans le vide quand je suis entré dans cette chambre d’hôpital, moins de deux heures avant sa mort, elle était en fait en train de pratiquer intensément. En dépit de la détérioration complète de son corps, ayant probablement 3% de sa capacité pulmonaire restante, et en dépit de l’incroyable quantité de médicaments qui lui avaient été donnés pour soulager sa douleur, et en dépit de la peur et de l’anxiété qui auraient pu être son sentiment – en dépit de toutes ces choses accumulées contre elle, elle avait encore la force, la clarté d’esprit, la volonté et l’attention à la pratique « comme si ses cheveux était en feu. »
Il est dit que l’ouie est le dernier des sens à nous quitter à la mort. Dans ses derniers instants, alors même que ses sens la quittaient et qu’elle n’était plus sensible au toucher, il était tout à fait clair pour moi que Ani Palmo était toujours à l’écoute de la voix de Ani Pema qui la guidait à travers le processus de la mort. Lorsque Ani Pema disait le nom de Ani Palmo, elle faisait un son non verbal, comme une reconnaissance ou une réponse. Jusqu’à la fin, j’ai eu la nette impression qu’elle était toujours là, toujours alerte, écoutant et pratiquant comme Ani Pema l’en instruisait. Je sais qu’elle avait écouté cet enregistrement d’innombrables fois, répétant ce moment encore et encore afin que, lorsque l’instant réel allait finalement venir, il serait familier et naturel.
Peu à peu, j’ai commencé à voir des pauses entre deux inspirations de Ani Palmo, et ces pauses sont passées de trois secondes au début, à cinq, puis dix, puis quinze secondes. Puis il y eut un moment où simplement elle ne respira plus à nouveau. Après toute cette lutte contre la maladie et la douleur au cours des dernières années, à ce moment ultime, elle franchit le seuil de la mort d’une manière si paisible que je continuais à attendre qu’elle reprenne une autre inspiration. J’ai attendu quelques minutes avant d’appeler l’infirmière pour confirmer qu’elle était partie. Enfin, la longue et douloureuse lutte d’Ani Palmo avec ce corps physique était terminée.
Être là pour voir à quel point elle a continué à pratiquer jusqu’à la porte de la mort, et sans doute au-delà, et avoir été le témoin de la façon dont sa soeur dans le Dharma et enseignante Ani Pema Chodron l’a si habilement et avec amour guidée à travers le processus de la mort avec le son de sa voix et les instructions de la lignée, cela a été un cadeau et un enseignement profond que je vais contempler pour le reste de ma vie.
Avec amour et gratitude à Ani Palmo et Ani Pema, Dennis Hunter (Zopa Tharchin)
Source : la chronique de Chogyam Trungpa Rimpoche – traduction Bouddhisme au féminin