Nicolas Hulot démissionne. En quoi cela nous concerne-t-il ?
J’ai été très touchée, la semaine dernière, d’apprendre la démission de Nicolas Hulot, et encore plus quand j’ai écouté l’interview sur France Inter pendant laquelle il a pris cette décision douloureuse pour lui et alarmante pour la France et pour le monde. J’ai été touchée par sa sincérité et par son intégrité, et surtout par sa vision et la résonnance que j’ai ressentie avec la vision bouddhique.
Pour lui, l’écologie, l’avenir de notre planète, si dangereusement en péril, doit être le facteur unifiant pour le gouvernement français, le critère déterminant pour tous ses choix et ses programmes. En langage bouddhique, la préservation de la planète doit être la valeur au centre du mandala, autour de laquelle devraient s’organiser tous les autres éléments, que ce soit l’économie, la défense, l’éducation, le transport ou l’énergie.
Je résonne aussi avec une autre valeur importante pour lui, la coopération à la place de l’arbitrage et de la concurrence entre les différents départements de l’État. Il cherchait une unification, une communion de volonté et une concertation collective d’effort autour de l’enjeu primordial de la transition écologique, car il voit clairement que si nous ne respectons pas cet impératif tout le reste ne sert à rien ; ce n’est que du réarrangement des transats sur le Titanic.
Cette vision implique une transformation totale non seulement du gouvernement mais aussi de la société, et M. Hulot a été amené à faire le triste constat que le gouvernement, comme la société, n’y est pas prêt. Il a souligné la façon dont tout le monde s’accommode de petits pas, de compromis et d’une baisse de la vision de ce qui est possible, et il a déploré le fait qu’il se voyait lui-même succomber à cette paresse.
Tout cela nous est familier, n’est-ce pas ? Nous qui cherchons à mettre les trois joyaux, le Bouddha, le Dharma et la Sangha, au centre du mandala de notre vie, comme valeurs souveraines et déterminantes, avec le but de faire en sorte que toute notre vie soit une expression de notre prise de refuge dans cette valeur, une expression de notre détermination à atteindre l’éveil pour le bien de tous les êtres. Mais combien de fois nous trouvons-nous dans l’arbitrage et le compromis, cherchant à accommoder dans une même vie des valeurs qui ne sont pas toujours compatibles ? Combien nous contentons-nous des petits pas qui ne mettent pas trop en danger nos désirs et nos habitudes chéris ? Et nous, sommes-nous prêts à mettre en œuvre la transformation complète qui est nécessaire si nous voulons mettre fin à notre souffrance et à celle des autres ?
Le Bouddha connaissait bien cette problématique, et il en a parlé au moyen de la parabole de la maison qui brûle, qui se trouve dans le Soutra de lotus. Dans cette histoire, un maître de maison s’inquiète pour ses enfants car la maison dans laquelle ils vivent a pris feu. Il alerte les enfants, il leur montre le feu et il leur explique le danger qu’ils courent. Mais ils sont absorbés par leurs jouets, ignorant les flammes qui s’élèvent autour d’eux et le péril qui les guette. Leur père a beau essayer de leur expliquer le danger et les inciter à sortir ; ils restent absorbés par leurs jeux, aveugles et sourds à toutes ses supplications. Finalement, le maître de maison a recours à une ruse ; il promet aux enfants des jeux encore plus grands, plus beaux et plus intéressants qui sont à chercher en dehors de la maison. Ainsi, il parvient à faire sortir les enfants de leur demeure dangereuse.
Le parallèle avec la situation à laquelle Nicolas Hulot tentait de faire face est frappant. Comme la maison, la planète brûle, littéralement. Et comme les enfants, ses habitants sont obnubilés par leurs jeux ; jeux de pouvoir, d’amassage d’argent et de possessions, jeux de distraction et de plaisir… Tout comme les enfants, ils ignorent, de façon plus ou moins volontaire et obstinée, le danger qu’ils courent. Et ce qui est pire, ils ignorent, de façon aussi volontaire et obstinée, le rôle que leurs jeux jouent dans l’échauffement de la Terre.
L’ignorance, pour le bouddhisme, ne se résume pas au simple fait de ne pas connaître les faits ; cela est pardonnable, et remédiable par des informations. Ce qui nous concerne, en tant que bouddhistes, est l’ignorance voulue, celle que nous perpétuons par avidité et par le refus de renoncer à nos plaisirs. C’est l’ignorance qui nous pousse à nourrir en nous le mensonge de notre indépendance du reste du monde, et la vue fausse que nos actions et nos choix ne concernent que nous-mêmes. Et c’est cette même ignorance qui est maintenue par un gouvernement qui persiste à chercher la croissance dans un monde où les ressources sont limitées et en cours de disparition.
Et la solution ? Quels sont les jouets qui nous feront sortir de notre situation brûlante ? Eh bien, il ne faut pas imaginer qu’il y a une autre planète, meilleure que la nôtre, avec des ressources encore plus intéressantes à exploiter. Il ne faut pas prendre cette comparaison littéralement. La maison qui brûle, je l’ai comparée avec notre planète et au réchauffement climatique, mais en réalité elle représente notre situation humaine ; nous avons toujours vécu dans une maison qui brûle, dans un monde plein de souffrance. Et celles et ceux d’entre nous qui en avons les moyens, nous avons toujours essayé de voiler cette souffrance en nous distrayant avec des jeux de plus en plus sophistiqués. C’est peut-être là où la métaphore, enlevée de son contexte bouddhique, cesse de marcher. Ou, plutôt, c’est là où il faut l’interpréter différemment. Nous pouvons voir la maison soit comme notre pauvre planète, tout en constatant qu’il n’y a pas, en réalité, un dehors où nous pouvons nous sauver, soit comme la société que nous avons construite, avec toutes ses structures et ses modes de fonctionnement, en particulier l’insistance sur la croissance, le désir de toujours plus, qui ressemble bien à un feu qui grandit en dévorant tout ce qu’il trouve sur son chemin.
La solution ne consiste pas à chercher à sortir pour continuer nos jeux ailleurs, ce qui correspondrait au choix des personnes et des pays aisés d’installer la climatisation pour mieux vivre la chaleur. Elle ne consiste pas non plus à utiliser la science pour chercher d’autres moyens d’exploiter cette planète, sans parler d’autres planètes. Tout comme la réponse bouddhique à la souffrance ne consiste pas à chercher des moyens d’y échapper. La seule réponse responsable est de regarder la situation en face et de reconnaître qu’il n’y a pas de solution sur le même niveau. Nous ne pouvons pas continuer à jouer dans une maison qui brûle.
Comme Nicolas Hulot l’a signalé, ce n’est pas le monde qu’il faut changer, mais nous-mêmes, notre société et notre mode de fonctionnement. La seule solution est d’aller au-delà de notre cupidité, de notre individualisme et de notre obsession avec notre confort et nos plaisirs personnels. La seule issue se trouve dans la coopération et la volonté de faire ensemble ce qui est mieux pour le bien de tous, même si cela implique certains sacrifices personnels. Dans le langage bouddhique, nous avons chacun la responsabilité de sortir de notre ignorance voulue, de nous ouvrir les yeux pour voir notre lien inaliénable avec tous les autres êtres vivants, et de nous ouvrir le cœur et la main pour transcender la haine et l’avidité et agir de façon aimante et généreuse pour notre plus grand bien et celui de tous les êtres.
Paris, 6 septembre 2018
Dharmacharini Vassika est actuellement la responsable spirituelle du Centre Triratna de Paris.
D’origine anglaise, elle s’est installée à Paris en 2003 afin d’y travailler et d’enseigner au Centre bouddhiste.
Vassika a découvert le bouddhisme à l’université et s’est rapidement investie dans la Communauté Triratna. Après des études en psychologie, elle a suivi une formation d’interprète pour les sourds-muets. Elle a exercé cette profession durant sept ans.
Désirant s’engager d’avantage dans le bouddhisme, Vassika a fini par abandonner cette activité pour travailler avec une équipe de femmes bouddhistes dans un restaurant végétarien situé à côté du Centre bouddhiste de Londres. Elle a reçu l’ordination en 2001.