Quand une personne est vraiment vivante…
Et là aussi, on revient à une chose qui me parle, qui m’intéresse beaucoup, c’est le filet d’Indra. Ce filet de pêcheur, où toutes les mailles sont reliées entre elles par une perle. Et chaque perle reflète la lumière de toutes les autres perles. Ce qui fait que chaque perle augmentant sa lumière, et bien elle augmente la lumière de toutes les autres perles. Chaque perle augmentant sa lumière, augmente la mienne et celle de tous les autres.Et lorsque votre propre lumière, lorsqu’il y a cette lumière, cet instant où tout revient à la vie, ça augmente. C’est l’ensemble, j’aime beaucoup ce filet d’Indra.Un jour, il faudra que je trouve quelqu’un, si quelqu’un sait dessiner et qu’il me le dessinait, ça serait bien parce que j’ai toujours du mal à l’expliquer comme ça. Ces mailles comme ça. Et ici une perle, et ici une perle et ici une perle.
On ne peut pas dire c’est ma lumière, c’est la lumière, la lumière, tout ça va ensemble.C’est « break through ».
Après, il y a plein d’autres choses que l’on peut dire. En ce moment, je suis en train de travailler et d’essayer de traduire dans une oeuvre des quinze ans qui viennent Baïka, les fleurs de prunier, un chapitre du Shôbôgenzô, de Maître Dôgen.
Dedans, il y a ce passage, un poème cité par Maître Nyôjô, qui dit :
C’est comme ça, une fleur, deux fleurs, trois fleurs…Et tout d’un coup, d’innombrables fleurs. Et elles tournent, et elles tourbillonnent, et elles deviennent le vent et la neige et la pluie et elles recouvrent toute la terre.
Et bien sûr, on n’oublie que la première phrase, la toute première phrase du Shôbôgenzô de Maître Dôgen, qui dit : « Voir les phénomènes, voir le coeur pur. » Et c’est là où ça m’intéresse et où je vois la rencontre entre le bouddhisme Indien et le Zen, et le Mahayana.
Parce que quand le Zen regarde les fleurs de prunier, le filet d’Indra, les montagnes couvertes de neige, les rivières d’étoiles, il voit le coeur pur.« Voir les phénomènes, voir le coeur pur. »
Ce n’est pas voir les phénomènes comme nous les voyons, dans le sens du voir avec les cinq skandhas. Et là on revient au samsara.
Puisqu’on a dit : se réveiller vivant dans ce monde, quelle joie. Ce n’est pas la joie des cinq skandhas. Ce n’est pas la joie des cinq sens et de la conscience.
C’est la joie de : en cet instant, quand toute parole est oubliée dans le silence.
En cet instant, tout revient à la vie.
Mais parce que, moi, je vis dans le samsara, la seule démonstration que je peux donner par ma vie même, va passer par mon corps. Et mon corps, c’est les cinq skandhas. Vous comprenez ce que je veux dire, ce mouvement comme ça.
C’est la joie du samsara.
Mais si je vais là où toute parole est oubliée dans le silence, là où il y a le coeur pur alors je peux revenir aux cinq skandhas mais les cinq skandhas ne sont plus les cinq skandhas du début.
Ce qui fait que les fleurs de prunier, la rivière d’étoile, la montagne couverte de neige, ne parlent plus à mon voir, écouter, entendre du samsara, mais elles parlent directement à la nature de Bouddha.
Elles s’expriment, elles parlent, elles rejoignent comme ceci, comme gasshô, la nature de Bouddha et le coeur pur.
C’est vraiment le Mahayana. Les phénomènes sont vacuité. Mais la vacuité se traduit, s’exprime est phénomène. Vous comprenez ?
C’est à partir de là que je peux me réveiller vivant dans ce monde. Je suis passée là donc je reviens dans le samsara, mais je reviens dans le samsara, là où les phénomènes sont vacuité. Pas seulement là où les phénomènes sont phénomènes.
A savoir quelque chose que je vais pouvoir attraper, prendre, saisir, rendre mien, ou tout du moins essayer. Et c’est pour ça que en cet instant, en cet instant seulement, je suis complètement vivant.
En ce présent de l’instant, qui va avoir l’avant, le présent, le passé de cet instant.
Et cet instant va faire cet instant. Et cet instant, et cet instant.
Ce n’est pas comme : je me réveille et là, il y a tout derrière, tout devant comme ça. Ça ne fait pas partie de ces choses lourdes comme ça, non, cet instant.
En cet instant tout revient à la vie. En cet instant, je m’éveille dans ce monde.
Et après c’est cet instant encore, et cet instant encore. On revient à cette trilogie Brahma, Vishnou, Shiva. Création, continuité, destruction. Création, continuité, destruction. Cet instant. Mais un, bien sûr. Je suis obligée de le dire en trois, mais c’est un.
En cet instant, tout revient à la vie. En cet instant, je me réveille vivant dans ce monde. Donc, cela n’a rien à voir, alors évidement, c’est toujours tentant : « Oui, mais moi, aujourd’hui, si vous saviez, avec tout ce qu’il y a, avec ci, avec ci, avec ça … ». D’accord, mais ça n’a rien à voir avec ça.
Cela a à voir avec s’éveiller à notre propre nature. A s’éveiller dans notre nature de Bouddha. Cela à voir à s’éveiller dans le coeur pur.
Comme on le chante à la fin des cérémonies d’ordination:
« Nous vivons dans le coeur pur du Bouddha. Un nuage dans un ciel sans limites. Un lotus dans l’eau boueuse. Nous vivons dans le coeur pur du Bouddha. »
C’est là où on s’éveille. On se réveille ou on s’éveille. C’est là. Sinon une fois vous allez vous réveiller de bonne humeur, une fois de mauvaise humeur. Vous avez bien dormi, mal dormi, etc. Non, non. Se réveiller vivant dans ce monde.
C’est comme ça que le moine a mis son kolomo, son chapeau trempé, il a mangé sa boulette de riz, à moitié mangée déjà. Et voilà. Complètement ouvert à ce moment-là, dans le monde. Et les phénomènes et la vacuité ne sont plus qu’un.
Cela c’est « break through ». `
Et à ce moment-là, vous voyez, les fleurs de prunier, et les fleurs de prunier remplissent le monde entier.
Ce vieux prunier, tout courbé, tout noueux. Il a passé l’hiver et on a l’impression qu’il est mort. Et tout d’un coup les fleurs de prunier recouvrent le monde entier. C’est comme ça. C’est comme ça se réveiller vivant dans ce monde. Dans ce monde, ce monde humain. Ce monde du samsara. Ce monde de la souffrance. Ce monde qui est le seul monde qui permet de passer dans le nirvana. Se réveiller vivant dans ce monde. Ce monde de la souffrance. Ce monde de Dukkha. Ce monde de l’impermanence.
Ce n’est pas la peine que ce soit le matin, que vous vous réveillez vivant dans ce monde. c’est maintenant, déjà.