Nous voulons aborder dans ce numéro une question qui n’est pas « spirituellement correcte » , elle est regardée comme tout à fait mineure et sans intérêt puisqu’elle ne concerne que les femmes. Et pourtant, les interdits et les condamnations de cette question sont principalement d’origine masculine.
Nous voulons parler ici de l’avortement, que l’on appelle aussi l’IVG. (l’interruption volontaire de grossesse)
Nous voudrions examiner cette question depuis la perspective de pratiquantes bouddhistes qui regardent profondément un problème et mettent en lumière des éléments de réflexions qui peuvent aider d’autres femmes.
Tout d’abord, rappelons que la religion chrétienne condamne l’avortement du fait que, selon le dogme, Dieu crée une âme unique pour chaque corps et que cet acte de « création » se produit dès la fécondation de l’ovule.
Qu’en dit le bouddhisme ? Que nous sommes un agrégat psychique qui s’incarne de vie en vie, enchainé à la ronde des naissances et des morts par le désir des sens. Seul l’Eveil et la libération peuvent nous libérer de cet enchaînement.
Cela signifie très concrètement qu’un avortement ne fait que retarder une incarnation qui se produira de toute façon. Les travaux de Ian Stevenson confirment cette vue. Il a recueilli le témoignage d’un enfant mort par accident et qui voulait revenir dans la même famille. La mère ne voulant plus d’enfant avait avorté, l’enfant à venir lui apparut en rêve et lui demanda de le laisser revenir.
Il s’agissait d’un pays d’Asie ouvert à l’idée de la renaissance et la mère pouvait recevoir ce message, il n’en est pas de même en Occident.
L’attitude des différentes sociétés humaines est pratiquement toujours la même face à cette question, ce n’est pas étonnant lorsqu’on constate une évidence, à savoir que le point de vue exprimé est exclusivement masculin.
Ainsi, avant l’ère chrétienne, les médecins qui prétaient le serment d’Hippocrate s’engagaient déjà « à ne remettre à aucune femme un pessaire abortif. »
On ne comprend l’interdit quasi universel qui frappe les femmes depuis des millénaires que si l’on réalise la puissance des mécanismes inconscients qui sont en jeu.
Pourquoi l’avortement suscite-t-il tellement d’interdits, de tabous et de violence à l’égard des femmes ? Qu’ils l’expriment ou non, les hommes ne se sentent-ils pas alors menacés dans leur droit d’exister puisque ce sont les femmes qui fabriquent les enfants ?
Comment contrôler cet avantage exorbitant ? c’est toute la racine de la domination masculine et du patriarcat depuis des millénaires.
Dans l’Inde védique, selon les lois de Manou, la femme n’est qu’un champ, c’est l’homme qui donne l’essence de la vie pour faire l’enfant, une croyance que l’on retrouve très souvent dans les sociétés primitives, (ce qui n’empêche pas d’accuser la femme si le « champ » est stérile). Donc, puisqu’elle n’est qu’un « champ », elle n’a pas droit à la parole, elle doit laisser se développer en elle la précieuse semence masculine dont elle n’est que la dépositaire.
En effet, ce qui est en jeu, c’est la naissance d’un garçon, la filiation masculine. On peut d’ailleurs constater qu’en Asie, depuis la démocratisation de l’échographie permettant de connaitre le sexe de l’enfant, l’avortement quand il s’agit d’une fille est regardé comme totalement sans importance.
Allons-nous rappeler le drame pour une femme et pour l’enfant d’une naissance non désirée pour des tas de raisons, sans parler des guerres, des viols, des abandons, des enfants handicapés, etc.. ?
En France, le dossier de l’avortement a été défendu par Simone Veil à la tribune de l’assemblée en 1974, et les souffrances des femmes ont finalement été entendues. Peu à peu d’autres pays libéralisent l’avortement, bien que le combat ne soit pas encore gagné partout, loin s’en faut.
Mais, la puissance du dogme religieux représente toujours la menace d’un retour en arrière.
Le dogme, les interdits, la vision du monde et l’image de la femme, tout cela, bien que différent d’une religion à l’autre a pour point commun d’être toujours, sans exception, l’expression de la pensée masculine. Et ces dogmes, ces interdits, cette vision du monde et leur propre image ont été — et sont encore trop souvent — acceptés et intériorisés par les femmes elles-mêmes sans les mettre en question.
Est-ce que vraiment des moines élevés à l’abri des murs de leurs monastères, loin des réalités quotidiennes, sont moralement, spirituellement et humainement en mesure de donner leur avis sur la question de l’avortement ? Certains (les plus éclairés) sont d’ailleurs ouvertement pour l’avortement, tandis que d’autres brandissent le respect de la vie tout en attaquant leur beefsteak.
Puisqu’il s’agit d’une question à laquelle ils ne seront jamais confrontés personnellement, nous ne pensons pas qu’une femme qui s’interroge sur la décision à prendre doive prendre conseil d’un homme en la matière, quel que soit son rang religieux.
Ce sont les femmes qui sont concernées, c’est chacune de réfléchir pour elle-même et de se dégager du carcan pesant du conditionnement judéo-chrétien et même bouddhiste.
Les nonnes elles-mêmes peuvent regarder ce problème depuis des considérations théoriques (élaborées à partir de textes écrits par des moines) qui n’ont rien à voir avec la douleur et l’angoisse des femmes confrontées à la responsabilité majeure de mettre un enfant au monde et de s’en occuper pour le reste de leur vie !
Dans les textes du canon pali figurent des passages qu’une femme ne peut que mettre en question. Ainsi il y a un sutra célèbre (Udana 1,8) qui met en scène un homme qui veut abandonner sa femme et son enfant pour devenir moine. Pour le faire fléchir, la mère pose l’enfant sur les genoux du père qui reste de marbre tandis que l’enfant pleure. Et le Bouddha félicite le futur moine de sa force de caractère !
On reste songeur devant le fait que pas une pensée n’est accordée à l’enfant ni à la mère… Où est la compassion – non pas théorique – mais activement réelle ?
La compassion est une valeur essentielle du bouddhisme, la compassion pour l’autre, c’est être capable d’empathie, de sentir pour l’autre. C’est au nom de cette compassion active que nous regardons la possibilité pour une femme de choisir de ne pas avoir un enfant comme une liberté fondamentale que toute pratiquante bouddhiste doit défendre pour elle et pour les autres femmes.
Et cela ne met nullement en cause sa pratique spirituelle ni ses possibilités d’éveil – quoi que puisse en dire des monastiques. C’est vraiment le message que nous souhaitons partager avec les lectrices qui peuvent se trouver confrontées à ce choix.
Voir le film ‘Une affaire de femmes » en relation avec ce thème.
A part Simone Veil envers qui les femmes seront toujours reconnaissantes, voir une autre femme admirable en relation avec ce thème : Gisèle Halimi.
Le mouvement du planning familial
L’ivg, un acquis fragile, toujours menacé
Situation de l’IVG dans le monde
L’IVG dans un pays bouddhiste ; la Thaïlande – 2015
Ci-dessous un rappel du combat des femmes en France pour l’IVG
Le ton des commentateurs masculins en dit plus que tout un discours, exemple à propos des manifestations pour le droit à l’avortement: « certaines femmes ont déclaré la guerre aux hommes »
heureusement il y a aussi Jean Ferrat…
Sur internet, les intégristes anti ivg ne désarment pas, pseudo témoignages, intervention dans toutes sortes de forums, culpabilisation à outrance des femmes, menaces et affirmations mensongères de gens incapables de se mettre à la place d’une autre et qui croient dur comme fer aux dogmes édictés par l’autorité « infaillible » du pape, un pape qui, nous pouvons l’affirmer sans risque, ne connaitra jamais ce genre d’épreuve – pas plus que les moines bouddhistes !
Ci dessous la situation en 2017
voir aussi : le droit à l’avortement régresse en Europe