En relation avec le thème du numéro sur la rencontre entre Orient et Occident, un article du bureau des Nations Unis
NÉPAL: Pourquoi tant de femmes se suicident-elles ?
Le suicide est aujourd’hui la première cause de décès chez les femmes jeunes ; il en était la troisième cause en 1998 (photo d’archives)
KATMANDOU, 25 janvier 2010 (IRIN) – Le suicide a désormais pris le pas sur les accidents et la maladie pour devenir la première cause de décès chez les femmes âgées de 15 à 49 ans, au Népal, selon ce que révèle une étude publiée par le gouvernement népalais.
L’étude 2008/2009 sur la mortalité et la morbidité maternelles menée par la Division santé des familles (DSF) du Département des services de santé porte sur les changements observés au Népal dans le domaine de la mortalité maternelle depuis 1998, année de la précédente étude.
L’étude a été réalisée sur une période d’un an à compter d’avril 2008, auprès de femmes en âge de procréer (15-49 ans), dans huit régions choisies pour représenter différentes ethnicités et divers niveaux de développement au Népal.
Ces régions comptaient au total plus de 86 000 femmes de cette tranche d’âge. Toutefois, selon les conclusions préliminaires de l’étude, qualifiées de choquantes, c’est le suicide, et non les problèmes de santé liés à la maternité, qui s’est révélé être la principale cause de décès : sur 1 496 décès déclarés, 16 pour cent étaient des cas de suicide.
L’étude de 1998 plaçait le suicide à la troisième place des causes de décès.
Ces conclusions « mettent en évidence qu’il est urgent de traiter cette question, à laquelle peu d’intérêt a été porté jusqu’ici, son importance n’ayant été révélée pour la première fois qu’en 1998 », selon l’étude.
Photo: Brennon Jones/IRIN
Au Népal, depuis la fin du conflit, les femmes sont de plus en plus touchées par les problèmes psychosociaux (photo d’archives) Les accidents, quant à eux, sont la deuxième cause de mortalité, à l’origine de neuf pour cent des cas de décès ; aucune précision n’a été donnée sur la nature de ces accidents.
« Ces conclusions nous inquiètent énormément. C’est tout à fait inattendu », a déclaré à IRIN Bal Krishna Subedi, ancien directeur de la DSF, qui a dirigé l’étude. « Cela nous a ouvert les yeux : nous devons creuser la question », a-t-il dit.
L’étude a également révélé une amélioration du taux global de mortalité maternelle au Népal : il est désormais de 229 décès maternels pour 100 000 naissances vivantes, contre 539 pour 100 000 naissances vivantes en 1998.
Des causes difficiles à cerner
Selon l’étude, les troubles de santé mentale, et les problèmes relationnels, conjugaux et familiaux sont autant de facteurs de suicide, de même que la jeunesse, puisque 21 pour cent des personnes ayant mis fin à leurs jours étaient des jeunes femmes âgées de 18 ans et moins.
L’étude ne donne toutefois pas de précisions sur le sujet, davantage de recherches devant être menées pour déterminer les causes du problème, indique-t-elle.
« De nouvelles recherches sont nécessaires pour mieux cerner les circonstances de ces événements tragiques et les facteurs qui y contribuent, et orienter ainsi les interventions dans ce domaine », peut-on lire dans l’étude.
De retour dans leurs régions et villages d’origine, les anciennes combattantes maoïstes se heurtent à des difficultés « Nous avons besoin d’approfondir l’analyse pour déterminer les causes des suicides, et pouvoir traiter ce problème grave à l’échelle de la communauté », a déclaré Sushil Baral, conseiller sanitaire au bureau népalais du Département britannique pour le développement international (DFID), un des organismes ayant contribué à financer l’étude.
« La violence sexiste pourrait en être la cause principale, ou figurer parmi les causes principales, mais davantage de recherches doivent être menées pour déterminer dans quelle mesure elle entre véritablement en jeu », a-t-il estimé.
Les suicides, souvent passés sous silence
À en croire les femmes activistes, les résultats de l’étude ne sont pas surprenants, et le problème pourrait même être encore plus répandu, les suicides étant souvent passés sous silence.
« La plupart des familles ne déclarent jamais les cas de suicide, car elles ont peur d’être entraînées dans des affaires de police », a expliqué à IRIN Pinky Rana, directrice de Samanta, une organisation non gouvernementale (ONG) locale de défense des droits de la femme.
Le seul moyen de prévenir les suicides est de criminaliser les causes de ces décès, telles que les querelles liées à la dot ou la violence domestique, selon Sapana Malla Pradhan, députée et présidente du Forum for Women, Law and Development (FWLD).
« Lorsqu’une personne se suicide, l’affaire est classée, aucune enquête n’est jamais ouverte pour déterminer ce qui a poussé cette femme à prendre une mesure aussi radicale », a ajouté Sapana Pradhan.
Les recherches nécessaires doivent être menées pour dresser un portrait précis du suicide chez les femmes. Mais la plupart des organisations humanitaires ne souhaitent pas financer ce type d’études ou de recherches, a-t-elle ajouté.
Selon les groupes de femmes, des services d’aide psychosociale doivent également être mis en place dans de nombreuses régions du pays, pour permettre aux femmes de faire face à différents problèmes tels que la dépression.
« Des programmes de formation au conseil [psychosocial] doivent impérativement être mis en place et nous avons besoin de plus de conseillers pour aider ces pauvres victimes », selon Mme Pradhan.
Source : irinews – nouvelles et analyses humanitaires – Un service du Bureau de la Coordination des Affaires Humanitaires des Nations Unies
Notre commentaire : il suffit de lire des compte rendus des violences inimaginables faites aux femmes au Népal pour trouver pourquoi elles se suicident, l’aide doit porter d’abord sur le changement des mentalités vis à vis des femmes, voir ci-dessous :
Le gouvernement népalais n’apporte aucune protection aux défenseures des droits des femmes
par Amnesty International
Uma Singh, jeune journaliste et militante, a été tuée pour avoir évoqué la question de la violence contre les femmes au Népal. Cette jeune femme, qui travaillait pour Radio Today FM et œuvrait au sein du Réseau des défenseurs des droits des femmes, a été tuée à l’arme blanche par un gang d’hommes le 11 janvier 2008.
Quand le Parti communiste népalais maoïste a remporté les élections le 10 avril 2008, devenant le parti disposant du plus grand nombre de sièges au sein de l’Assemblée constituante du pays, il a pris l’engagement d’apporter des améliorations sur le terrain des droits des femmes, notamment en protégeant les défenseures de ces droits. Un an plus tard, très peu de choses ont changé.
Des militantes pour les droits des femmes ont confié à Amnesty International qu’en osant s’élever contre la prévalence de la violence domestique, des meurtres liés à la dot et de la violence sexuelle, elles s’exposaient aux manœuvres d’intimidation, aux menaces et même à la mort. Dans de nombreux cas, les défenseures des droits humains sont rejetées par leur famille pour avoir milité en faveur des droits des femmes et protesté contre la discrimination dont les femmes font l’objet.
« Les militantes jouent un rôle crucial au Népal, où de nombreuses femmes ne connaissent pas leurs droits et ont peur d’affronter la société et les autorités gouvernementales, a expliqué Madhu Malhotra, directrice adjointe du programme Asie-Pacifique d’Amnesty International. Chaque défenseure des droits humains se trouve au cœur d’un réseau de soutien à des femmes ; lorsque ce noyau est attaqué, toutes les femmes du réseau en pâtissent. »
Une délégation d’Amnesty International a effectué une mission au Népal en novembre 2008 et s’est entretenue avec un vaste échantillon de femmes défenseures des droits humains, qu’elles soient hindoues, musulmanes, appartiennent à des groupes marginalisés comme les dalits, les janajatis, ou militent pour les droits des Lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres. Ces militantes ont fait le récit de leurs difficultés, de leurs combats et de leurs espoirs dans le cadre de leur action en faveur des droits humains.
L’expérience de chacune d’entre elles était unique ; les différences relevées dépendaient notamment de la zone où elles opéraient. Celles qui, à Katmandou, la capitale, cherchent à inciter les autorités à adopter les mesures qui s’imposent, se trouvent aux prises avec une société patriarcale qui considère les femmes comme des citoyens de seconde zone. Une société qui n’a pas encore élaboré de loi d’habilitation pour que les droits des femmes soient considérés comme des droits humains. Une militante a affirmé que « même les défenseurs des droits humains ne semblent pas prendre les droits des femmes au sérieux. »
Dans la plupart des cas qu’elles prennent en charge, les militantes constatent que les policiers népalais se rendent de fait complices des crimes perpétrés contre les femmes, en refusant d’enregistrer leurs plaintes ou en ne faisant pas le nécessaire pour mener une enquête exhaustive sur les agressions signalées, en ne leur apportant aucune protection et en leur laissant subir de nouvelles persécutions au sein de leur famille ou de leur milieu.
Rita Mahato, trente ans, est conseillère en matière de santé dans le district de Sirha, au Centre de réinsertion des femmes (WOREC), une organisation aidant les victimes de la violence sexuelle. En juin 2007, son bureau a été attaqué par des hommes qui protestaient contre l’action menée par le WOREC ; les agresseurs ont menacé de la violer et de la tuer. La police n’a pas ouvert la moindre enquête sur ces faits.
Les défenseures agissant dans l’est du Terai, une région du sud du pays, sont également confrontées à la violence liée au genre. Parmi les atteintes auxquelles s’attaquent ces militantes figurent : des viols perpétrés par des propriétaires et des membres de groupes armés ; des cas de violence au sein de la famille, notamment aux mains d’un compagnon ; et des meurtres liés à la dot.
Dev Kumari Mahara est une collègue de Rita Mahato. En avril 2007, elle a été appelée sur le lieu d’une infraction près de chez elle. Un voisin était accusé du viol de l’épouse d’un homme muet. La victime avait été rouée de coups, sa blouse avait été déchirée et son visage était tuméfié. Elle a désigné son agresseur.
La police s’étant montrée hostile avec elle par le passé, Dev Kumari a tout d’abord contacté le Réseau des défenseurs des droits des femmes. La police ne s’est pas rendue sur place bien que Dev Kumari lui ait signalé les faits par téléphone ; elle a donc dû amener la victime à l’hôpital elle-même.
Il n’existe pas dans ce district de services médicaux gratuits destinés aux victimes de viol. Le médecin qui a examiné la victime n’a pas rempli de rapport attestant le viol, document qui aurait pu être utilisé comme élément de preuve. Selon Dev Kumari, le violeur présumé vient d’une famille riche et a été en mesure de soudoyer la police et le médecin.
Après que la militante eut porté plainte au sujet de cette affaire de viol, l’accusé a contacté un groupe de personnes le soutenant, qui a commencé à la harceler. Quand le Réseau des défenseurs des droits des femmes a essayé de déposer une plainte pour le viol, ainsi que pour les manœuvres de harcèlement qui ont suivi, un gang d’hommes s’est massé devant le poste de police. « Ils ont menacé de me tuer, de me couper les jambes, de me violer et de me brûler vive », a déclaré Dev Kumari. Les policiers ne se sont pas émus de ces menaces, bien qu’ils en aient été témoins.
Dev Kumari a expliqué qu’il est fréquent, pour régler les affaires de viol dans le district de Sirha, que l’agresseur verse une somme d’argent à la victime en échange de son pardon.
Les recherches effectuées par Amnesty International ont montré qu’au lieu d’enquêter sur les faits portés à leur connaissance, les policiers poussaient les femmes à se tourner vers la justice traditionnelle communautaire, qui n’a pas de caractère officiel ; dans le cadre de ce système, les pots-de-vin, la discrimination et le peu d’importance accordée à l’infraction commise empêchent souvent que justice soit véritablement rendue. Les militantes ont confié à Amnesty International qu’elles sont souvent victimes d’humiliations lorsqu’elles essaient de signaler des faits à la police.
Au Népal, les militantes travaillent souvent dans des zones très isolées et n’ont à leur disposition que de faibles moyens de communication et des mécanismes de soutien insuffisants. Elles sont confrontées à des pratiques culturelles discriminatoires comme le mariage précoce des enfants et le boxsi (sorcellerie). Une militante a dit à Amnesty International : « Quand une femme sort du rang, on l’accuse de boxsi ».
Les victimes se tournent souvent vers la solution rapide offerte par la justice communautaire. Les systèmes traditionnels de résolution des litiges sont communs au Népal, compte tenu de la difficulté qu’il y a à obtenir l’aide des mécanismes judiciaires officiels.
La belle-famille d’Hasrun Idrishi aurait mis feu aux vêtements que portait la jeune femme avant de l’enfermer dans une pièce. Elle a été grièvement brûlée sur près de la moitié du corps. Ses beaux-parents avaient été mécontents de son absence de dot. Plutôt que d’enquêter sur les allégations de violences faites par la jeune femme, la police l’a initialement encouragée à solliciter une médiation pour résoudre ses problèmes.
Une militante travaillant sur le cas d’Hasrun Idrishi a observé que la police avait recouru à des techniques communautaires de résolution des conflits au lieu d’enregistrer la plainte de la jeune femme. Un médiateur a été contacté et le mari d’Hasrun Idrishi a rédigé un contrat promettant à celle-ci qu’elle ne serait plus battue. Une fois de retour chez elle, Hasrun Idrishi a de nouveau connu la violence domestique.
« Le gouvernement doit faire davantage pour lutter contre les inégalités et les discriminations dont les femmes sont victimes au Népal, a dit Madhu Malhotra. Les maoïstes ont beaucoup parlé de mettre fin aux discriminations à l’égard des femmes et d’améliorer leur condition au Népal. Maintenant qu’ils sont au gouvernement, il est décevant de constater que leurs discours révolutionnaires n’ont pas débouché sur de véritables améliorations dans la vie des femmes. »
Source : Amnesty International
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