Accueil Enseignement Supporter les problèmes émotionnels par Myokyo-ni Roshi

Supporter les problèmes émotionnels par Myokyo-ni Roshi

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La voie zen et le bouddhisme ne sont pas nés dans notre culture. L’intérêt récent pour les choses orientales s’est traduit par un grand nombre de livres et de traductions de leurs Ecritures, mais, aussi bon traducteur que l’on puisse être, comment peut-on traduire un sujet qu’on ne connaît pas ? La plupart des livres comportent déjà une orientation et les traductions ne sont pas toujours correctes quant au sens, encore moins quant aux connotations. Ils ne peuvent pas non plus vraiment transmettre ce qui est étranger à notre façon de penser. Un minimum de déformation est inévitable. Nous sommes intéressés par ces livres que nous utilisons alors comme points de référence pour notre propre fabrication d’images. Si l’image est, pour ainsi dire, suffisamment fascinante, elle peut nous inciter à commencer une pratique de façon à nous rendre possesseurs de cette image dont nous espérons le  » salut « , la solution à tous nos ennuis et malheurs.

« Je » souhaite avoir toutes les qualités raffinées possibles: être libéré, libre, attentif, plein de sang-froid et bien sûr illuminé, ce que j’interprète de façon très personnelle selon ma compréhension, et je suis tout à fait décidé à les poursuivre.
La pratique commence alors tout à fait différemment de ce j’attendais et croyais. Je ne suis pas venu ici pour cela – ce qui en un sens est tout à fait juste. Plus je m’accroche à mes images idéales, plus je suis faible. Je m’accroche à elles comme à ma vie, je ne peux les abandonner et donc je m’arrête et abandonne la pratique.

Si je suis assez humble pour accepter le renversement, le détrônement de mes images, et suffisamment patient pour au moins essayer la pratique, des choses inattendues commencent à apparaître. Si je décide de vivre ma vie quotidienne avec sa routine, exactement comme elle est, d’accepter ce qui se présente à l’instant, et faire de mon mieux, des problèmes apparaissent aussitôt. Naturellement, mon objectif est d’accepter les circonstances, les situations, les demandes, comme telles. Mais ceci n’est pas très important, car dans la routine de nos occupations, nous devons le faire de toute façon. En outre, l’environnement ne m’appartient pas et je ne le contrôlerai jamais.

Mais mes réactions m’appartiennent, je dois les accepter et me familiariser avec elles. Ces réactions sont vraiment miennes bien que je ne les aime pas et me sois longuement entraîné à les ignorer. Cependant elles sont à la fois les fauteurs de trouble et les obstacles.

Se familiariser avec le fonctionnement des émotions est le premier pas de l’entraînement. Pour commencer, je me sens inévitablement l’agent : « j’accepte ceci  » ; nous voilà de retour à la division sujet-objet ; la pratique s’égare et me donne mal à la tête. Car lorsque j’essaie de m’approprier l’énergie émotionnelle, la pratique devient vite assommante et agaçante. Je l’abandonne.

Comment accepte-t-on ses propres résistances et réactions émotionnelles ? Non en les niant, ni en refusant de les voir, car c’est justement cela qui leur donne du pouvoir sur nous ; d’où la nécessité d’un revirement.
Si nous sommes confortablement assis et que vous me demandez de vous préparer une tasse de thé, si j’en veux une aussi, je me fais un plaisir de la préparer. Mais si je suis assise, absorbée par un livre qui me captive ou suis en train de faire quelque chose que j’estime important, cette demande risque de provoquer une résistance :  » Qu’il/elle aille au diable !  » ou  » Toujours au mauvais moment !  » . Je suis en colère d’être dérangée et par conséquent exaspérée par votre manque de considération :  » Ne voit-il/elle pas que…  » ou du moins je suis tentée de répliquer d’un ton sec :  » Pour une fois, prépare-la toi-même.  » Si je me laisse emporter et parle ainsi, je devrai alors admettre qu’ une fois de plus, pour la énième fois, j’ai échoué dans ma pratique, j’ai laissé les émotions m’emporter. Autrui n’est pas à blâmer – c’est ma réaction.

Mais si je pratique sérieusement, je peux au moins m’arranger pour tenir ma langue, bien que je sois fortement tentée de répondre. Et lorsque le choc initial de l’emportement est passé, je peux considérer que ma pratique est d’abord d’accepter la réaction émotionnelle et puis la demande. Ainsi je décide d’aller préparer le thé. La première partie est gagnée. Mais cela peut immédiatement mal tourner car en allant mettre la bouilloire en route, je peux commencer à me féliciter  » Je suis bien bonne de faire ce thé bien que cela me dérange, comme j’ai progressé dans la pratique ! « . C’est moi qui essaie de m’approprier l’action de façon à me sentir bonne – particulièrement parce que je ne souhaite pas voir ce qui se passe réellement en moi. Car si je peux m’abstenir de me féliciter et si je peux avoir le courage et l’honnêteté de voir ce qui se passe vraiment en moi à ce moment, je devrai reconnaître que je peux à peine continuer tellement je suis en colère. Ainsi, j’accepte cette colère et prépare le thé en étant pleinement consciente de mon agitation intérieure. La difficulté est d’apprendre à faire ce qui nous est vraiment étranger : être ouvert à nos affects émotionnels tout en agissant calmement.

Nous devons apprendre à supporter et à souffrir de bon gré et en pleine conscience nos assauts émotionnels. Cela ne nous rappelle-t-il pas l’enseignement du Bouddha :  » J’enseigne la Souffrance et la voie qui mène hors de la Souffrance  » ? Nous ne devons pas nous détourner de ce qui se passe en nous dans l’intérêt d’une action efficace mais apprendre à agir en état de souffrance.

Une réaction émotionnelle est une montée d’énergie inconsciente, poussant l’être humain à agir aveuglément. Si nous ripostons physiquement ou verbalement, l’énergie s’écoule dans l’action et nous sommes ainsi soulagés de la tension. Si cette fuite n’est pas autorisée, l’énergie se retourne sur nous et gêne notre action. Nous nous recroquevillons intérieurement, ce qui nous rend plus ou moins incapables d’agir.

Plus nous nous abandonnons à l’une ou à l’autre attitude, plus notre tolérance diminue et plus nous devenons le jouet de nos émotions. Trop de permissivité, trop de relâchement, bien que diminuant momentanément la tension, aggravent la situation à la longue. Mais réprimer les émotions n’est pas non plus la solution car tôt ou tard elles éclatent violemment ou nous envahissent à notre insu.

Bien que me dérobant à ce double fardeau qui consiste à agir calmement en dépit d’un état intérieur d’agitation émotionnelle, cette  » souffrance en action  » est précisément le moteur de la transformation. Il traite la cause plutôt que le symptôme de notre souffrance. Ce fait d’endurer la souffrance n’est cependant pas quelque chose que je peux faire activement – en m’observant. C’est une endurance muette, patiente, passive mais consentante, une attitude d’acceptation des émotions qui peuvent alors être limées et broyées intérieurement. La partie active du moi n’est pas concernée par ce processus si ce n’est par l’effort de continuer à vivre calmement en dépit de la souffrance tout en restant pleinement conscient. Voilà en quoi consiste un entraînement réel d’acceptation. Le moi ne peut le faire à la commande. Il demande beaucoup de pratique, beaucoup d’essais et d’erreurs, avant d’être vraiment compris.

J’ai aussi tendance à me décourager lorsque je découvre que non seulement cette pratique est difficile mais que j’échoue plus souvent que je ne réussis. Mais c’est naturel. Si je pouvais la réussir dès le début, comme je m’y attends naïvement quand je me décide à l’entreprendre, une telle pratique serait inutile.

Pendant ce temps, j’apprends beaucoup en comprenant que je ne peux réaliser cette pratique par un acte de volonté, ce qui modère l’estime que j’ai de moi-même ; en outre, sans aucun objet à blâmer, je commence à soupçonner que je suis réellement mon propre obstacle. Si tout va bien c’est le premier petit changement, le premier assouplissement du moi rigide. Alors apparaît le danger de m’accrocher à ce changement, de commencer à m’analyser, essayant de me saisir – ce qui ne conduit à rien, seulement à une suite de réflexions sans fin comme dans une salle de miroirs.  » L’œil qui voit mais ne peut se voir ; l’épée qui tranche mais ne peut se trancher.  » A vrai dire le Grand Doute est essentiel tout le long de la voie, et un guide est important pour indiquer la voie encore et encore, chaque fois que, tout à fait à mon insu, je suis une fois de plus retombé dans l’ornière, en toute bonne foi.

Je ne peux résoudre mes problèmes émotionnels ; je peux seulement les supporter jusqu’au bout. En ne laissant l’énergie émotionnelle ni s’échapper en réaction aveugle, ni me bloquer et entraver mon action, mais en la contenant et en la supportant, ma tolérance se développe à la manière des muscles dont la force et l’endurance se développent par l’entraînement physique.

(Extraits de La voie Zen Ed. Acarias, l’Originel )